CENSURE
La survivance d'une censure politique
Le statut juridique du cinéma et de la télévision a par ailleurs favorisé la perpétuation d'une forme de censure gouvernementale animée par des considérations politiques. Dans la France d'après 1945 par exemple, on interdit Les statues meurent aussi d'Alain Resnais et Chris Marker, sur l'art d'Afrique noire et le colonialisme, en 1955, Le Rendez-Vous des quais de Paul Carpita, fiction ayant pour cadre une grève en 1950 des dockers marseillais opposés au chargement de matériel militaire pour la guerre d'Indochine. En 1955 également, pour obtenir le visa de Nuit et Brouillard, Alain Resnais doit recouvrir à la gouache le képi d'un gendarme français au camp de déportation de Pithiviers. Des films provenant de pays communistes ont été régulièrement interdits, au motif qu'ils constituaient des œuvres de propagande. Les projections du Cuirassé « Potemkine », réalisé en 1925 par Serge Mikhaïlovitch Eisenstein, ne furent ainsi autorisées qu'en 1953 ; en 1963, Cuba si ! de Chris Marker est interdit. Quant aux Sentiers de la gloire de Stanley Kubrick, il n'est même pas présenté en 1957 à la commission de censure. Elle n'aurait pu l'accepter : le film risquait d'engendrer des incidents avec des associations d'anciens combattants ; il se rapportait à un épisode de la Première Guerre mondiale évacué de la mémoire nationale, les soldats français fusillés après jugement en Cour martiale pour avoir refusé de combattre. Il n'obtint son visa que dix-huit ans après sa sortie. Pendant la guerre d'Algérie, Le Petit Soldat (1960) de Jean-Luc Godard ou La Bataille d'Alger (1966) de Gillo Pontecorvo sont, parmi d'autres, interdits.
Les médias audiovisuels publics ont également fait l'objet d'une censure politique. Au temps du monopole public, la télévision se trouvait de fait dans une situation comparable à la presse officielle instituée par Richelieu. Le gouvernement avait les moyens d'intervenir sur le contenu du journal et des programmes télévisés. Dans les années 1960, il existait un ministre de l'Information qui pouvait convoquer les responsables de la radio et de la télévision pour décider de la composition des journaux du soir. La plupart des grands journalistes de la télévision publique étaient, sinon proches du pouvoir gaulliste, en tous les cas très révérencieux à son égard. Des émissions satiriques, qui tournaient en dérision des responsables de l'époque, ont été interrompues, tout comme des programmes conçus par des réalisateurs marqués à gauche à l'image de Stellio Lorenzi. Le traitement de sujets touchant à l'histoire nationale (et, en particulier, à la période de l'Occupation) ou à la personne du chef de l'État était particulièrement surveillé. Le Chagrin et la pitié, de Marcel Ophüls, qui obtient son visa en 1971 deux ans après sa réalisation, n'est projeté que dans une unique salle à Paris et ne sera diffusé par la télévision qu'en 1981.
Cette censure gouvernementale s'est assouplie dans les années 1970 et plus encore durant la décennie suivante. La gauche, arrivée au pouvoir en 1981, a évité de trop recourir à des pratiques qu'elle stigmatisait quand elle était dans l'opposition. L'apparition de chaînes privées, qu'il est plus difficile au gouvernement de contrôler étroitement, a par ailleurs rendu moins efficace la censure politique sur les chaînes publiques.
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Écrit par
- Julien DUVAL : chargé de recherche au C.N.R.S.
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