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CENSURE

Les censures économiques

Au xxe siècle, la réflexion sur la censure a accordé une place importante aux effets qui résultent de l'économie des secteurs culturels. Connus depuis longtemps, ces effets ont plus particulièrement suscité des débats depuis les années 1980. C'est qu'ils se sont intensifiés avec l'apparition de télévisions privées et avec le phénomène de concentration économique dans nombre de secteurs culturels. L'exemple des médias d'information (presse, radio, télévision) montre que ces effets peuvent prendre différentes formes.

Ces médias, particulièrement lorsqu'ils tirent de la publicité une très grande part de leurs recettes, doivent composer avec des préoccupations commerciales. Pour attirer les investissements publicitaires, ils se doivent de réunir un large public et/ou de toucher prioritairement des catégories dotées d'un fort pouvoir d'achat. Du même coup, ils sont portés, par exemple, à privilégier ce qui est jugé divertissant, léger, et accessible au plus grand nombre. De même, en matière d'informations, ils tendent à valoriser, plutôt qu'un journalisme d'analyse, ce qui est sensationnel ou directement utile à leur public. Ces médias, bien sûr, ne se transforment jamais en une instance de censure de type traditionnelle qui, pour des raisons commerciales, interdirait formellement des idées et des œuvres. Mais ils permettent à certaines productions culturelles ou intellectuelles d'accéder au circuit de diffusion le plus large, pendant que d'autres se trouvent reléguées dans des circuits secondaires.

En outre, dans les médias privés, les journalistes sont dans une position difficile lorsqu'ils traitent d'informations engageant les intérêts des propriétaires de leurs entreprises ou d'annonceurs. Un gros annonceur, par exemple, peut menacer de retirer des budgets publicitaires à un média qui divulguerait des informations le desservant. Des journalistes expliquent qu'anticipant sur ce type de menaces il leur arrive de renoncer à un article ou à un reportage. Ce faisant, ils s'autocensurent, un peu comme Descartes qui renonça à publier l'un de ses manuscrits en apprenant la condamnation de Galilée. Depuis les années 1990, le fait que les grands médias soient, presque tous, la propriété de grands groupes et très dépendants de la publicité a favorisé une certaine bienveillance à l'égard du libéralisme économique, qui leur a parfois été reprochée. L'expression de « pensée unique », qui a alors été utilisée, a été créée à des fins polémiques. Elle avait l'avantage de suggérer qu'il ne suffit pas nécessairement que les médias soient libérés de la tutelle politique pour que le pluralisme soit effectif.

La prise en compte de ces censures économiques montre que les catégories, héritées du combat qui a permis de proclamer la liberté d'expression, ont été en partie renversées depuis la fin du xixe siècle. Par exemple, alors que la presse avait été l'une des grandes victimes de la censure royale, nombre d'intellectuels et d'artistes voient aujourd'hui dans « le silence des médias » une censure d'autant plus redoutable que, contrairement aux mises à l'Index ou aux interdictions royales, elle ne s'accompagne d'aucune publicité pour les œuvres ou les idées qu'elle exclut. De même, l'État, qui incarnait jusqu'alors la censure, a été au xxe siècle régulièrement sollicité pour garantir, voire rétablir, le pluralisme.

— Julien DUVAL

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Média

Journal censuré - crédits : Roger-Viollet

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