CENTENAIRE DE LA N.R.F.
La Nouvelle Revue française, cette revue que Mauriac, avec un mélange de cruauté et de tendresse, appelait « la vieille dame de la rue Sébastien-Bottin », a fêté son centenaire en 2009, et l'anniversaire fut dignement célébré. Les éditions Gallimard n'avaient certes pas attendu cet âge canonique pour faire revivre, notamment avec les anthologies de Pierre Hebey, un héritage absolument incomparable dans l'histoire de la littérature contemporaine. Depuis l'ouvrage pionnier de Lina Morino (La Nouvelle Revue française dans l'histoire des lettres, Gallimard, 1939) jusqu'à la belle thèse de Laurence Brisset consacrée à La N.R.F. de Paulhan (ibid., 2003), en passant par la monumentale recherche d'Auguste Anglès (André Gide et le premier groupe de la « Nouvelle Revue française », 3 vol., ibid., 1978-1986), les chercheurs ont à plusieurs reprises eu l'occasion d'étudier une institution qui se confond souvent avec la littérature française du xxe siècle. Le phénomène s'accrut à l'occasion du centenaire, et l'on vit – fait nouveau – de vrais historiens s'intéresser à la politique de La N.R.F. ; ce fut notamment le cas en 2008 avec la publication de la thèse de Yael Dagan (La N.R.F. entre guerre et paix, Taillandier).
Mais les morceaux de choix commémoratifs furent d'évidence réservés à la maison mère. L'ouvrage d'Alban Cerisier, Une histoire de la N.R.F. (Gallimard, 2009), se présente comme la première véritable histoire de la revue. Elle est rédigée par l'« historien maison », ce qui présente un certain nombre d'avantages et autant d'inconvénients. La principale qualité du livre est sa lisibilité. La science du connaisseur est suffisamment assimilée pour pouvoir être communiquée d'un trait, sans aucune note et avec une certaine verve. Les figures tutélaires apparaissent telles qu'en elles-mêmes : ambivalence de Gide, rigorisme de Rivière, génie souriant de Paulhan... La prose de Cerisier ne ménage pas de grandes surprises mais tout est là, chaque chose bien présente à sa place. Et ici apparaissent d'évidence les limites d'une entreprise qui s'apparente à la récitation d'une doxa, fût-elle parfaitement archivée. Tout se passe comme si l'histoire de la revue, se confondant avec le mouvement d'élévation, d'apogée et d'inexorable déclin de la « Grande Littérature » française et de ses « Grantécrivains », ne pouvait que valoriser le premier demi-siècle de son existence, et laisser de côté – en dépit d'une réelle attention de Cerisier pour le moment de La Nouvelle Nouvelle Revue française de Paulhan, à partir de 1953 – la période qui se rapproche de la nôtre. Telle est la principale injustice (et la grande erreur de perspective) d'une telle façon de raconter l'histoire : elle conduit à escamoter plus ou moins délibérément les magnifiques périodes où Georges Lambrichs et Jacques Réda tenaient entre leurs mains le destin de la revue. On ne peut que regretter que sur cinq cents pages de texte, Alban Cerisier n'en consacre qu'une dizaine aux quarante dernières années de La N.R.F.
Une telle disproportion apparaît également dans le beau catalogue de l'exposition En toutes lettres (Gallimard, 2009) qui, après avoir été présentée à la Fondation Martin-Bodmer, se tint à l'Institut Mémoire de l'édition contemporaine (abbaye d'Ardenne, Caen, 23 sept.-23 déc. 2009). L'histoire de la revue (et de la maison d'édition) ne semble pas devoir faire droit à un moment essentiel du renouveau formel qui eut lieu au détour des années 1960 à 1970. Pourtant, de Michel Deguy à Jude Stefan, de Michel Chaillou à Richard Millet, de Clément Rosset à Pierre Bourgeade, un pan essentiel de la critique et de la création littéraires a été[...]
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Écrit par
- Marc CERISUELO : professeur d'études cinématographiques et d'esthétique à l'université de Paris-Est-Marne-la-Vallée
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