MUSATTI CESARE (1897-1989)
En dépit de ses dénégations, Cesare Musatti était connu comme le « père de la psychanalyse italienne ». Il eût préféré en être tenu pour le « frère jumeau » (comme le suggère son livre Mia sorella gemella la psicoanalisi, Rome, 1982), en en laissant la paternité prestigieuse au Triestin Edoardo Weiss. Son rapport à la psychanalyse se fondait sur une coïncidence extraordinaire : le jour même où il naissait à Dolo – le 20 septembre 1897 –, Freud serait passé en train devant sa maison pour se rendre de Padoue à Vienne, d'où, le lendemain, il expédiait à Fliess la lettre fameuse où il disait : « Je ne crois plus à mes neurotica. » C'est à cette lettre que l'on fait remonter l'inauguration de la psychanalyse et la reconnaissance de la spécificité de son objet – la réalité psychique, en grande partie indépendante de la réalité factuelle et dotée d'un statut de vérité qui lui est propre.
À l'intérêt que Musatti portait à cet épisode, on peut déjà comprendre son style intellectuel, centré sur la dimension autobiographique et marqué par le goût du paradoxe, l'ironie, une aptitude à désacraliser. Ces traits, pourtant, s'accompagnaient d'un puissant engagement éthique et politique, comme en témoigna notamment le rôle qu'il joua dans la difficile entreprise qui consistait à introduire la psychanalyse en Italie. Dans les années 1920, les théories freudiennes pénétraient dans le pays grâce à l'influence culturelle et littéraire de Trieste, dont le livre d'Italo Svevo, La Conscience de Zeno (1923), est un témoin exemplaire. Mais elles restaient cantonnées dans des cercles restreints en raison de l'imperméabilité de la pensée idéaliste de Benedetto Croce et de Giovanni Gentile, qui accordaient leur faveur à la restauration d'une psychologie d'obédience philosophique. Elles se heurtèrent plus franchement encore au barrage idéologique que leur opposa le fascisme, lequel voyait en Freud le parfait représentant du pessimisme et de la mentalité décadente propres au judaïsme. De son côté, l'Église catholique, au nom de sa morale, stigmatisait le « pansexualisme » de telles théories.
En 1934 fut dissoute la Société italienne de psychanalyse, qui avait été fondée deux ans auparavant. Et, en 1938, la plupart des psychanalystes, qui étaient d'origine juive, s'exilèrent pour fuir les persécutions raciales.
Musatti, dont le père était juif et la mère catholique, fut suspendu de son enseignement à la chaire de psychologie qu'il occupait à l'université de Padoue depuis 1928, à la suite de son maître Benussi, insigne représentant de l'école de Graz. On lui permit cependant de rester en Italie, où il fonda, auprès de l'entreprise Olivetti d'Ivrea, le premier laboratoire de psychologie industrielle. À la fin de la guerre, il fut appelé à l'université de Milan pour y enseigner la psychologie expérimentale aux philosophes et la psychanalyse aux médecins. Ces deux tâches correspondaient à sa double compétence d'expérimentaliste dans le domaine de la Gestalttheorie, où il avait introduit les thèmes du temps et de la mémoire, et de praticien de la psychanalyse. Mais, par ailleurs, elles s'opposaient de telle manière qu'elles aboutirent à retarder la pénétration de celle-ci dans les facultés des humanités.
Néanmoins, Musatti s'employa à faire connaître de manière systématique la pensée freudienne en publiant son désormais classique Trattato di psicoanalisi (1949, rééd. Boringhieri, Turin, 1977) et surtout en assumant, avec le concours de Renata Colorni, la direction, aux éditions Boringhieri, des Œuvres de Freud (12 vol., 1967-1980). Dans les années 1950, il soutint une vive polémique avec le philosophe A. Banfi, qui, au nom du marxisme, accusait la psychanalyse de n'être qu'une[...]
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Écrit par
- Silvia VEGETTI FINZI : professeur de psychologie dynamique au département de philosophie de l'université de Pavie, Italie
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