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PAVESE CESARE (1908-1950)

Récits d'initiation

Presque tous les romans pavésiens sont des histoires d'initiation et de formation. Un segment de vie est raconté, qui est déterminé par sa double logique, subjective et sociale ; une articulation est représentée, mais à la fin du livre l'histoire reste comme en suspens et pourrait être relancée. C'est le récit qui s'arrête. Le voyage est une situation narrative de prédilection. Voyage de la campagne à la ville qui, à l'époque, symbolisait l'appropriation par le sujet de sa destinée, l'espace urbain étant le lieu du devenir historique ; voyage de Turin à Rome, recoupant la trajectoire d'une éducation politique dans Le Camarade (Il Compagno, 1947), ou d'un quartier à l'autre de la ville divisée par des cloisonnements sociaux, enfin de la ville à la campagne devenue le symbole de l'évasion ou du retour à des valeurs encore solides à l'orée des années 1950, quand la société italienne sort de la reconstruction pour s'installer dans l'ère de la consommation. Le voyage est la figure de l'insatisfaction et de la quête qui, dans les derniers livres, se mue en fuite dans la drogue et le néant. Ainsi le malaise des jeunes gens issus de la haute bourgeoisie se manifeste comme besoin de s'étourdir et d'enfreindre une norme : dernier geste de révolte individuelle dans le cadre de la dolce vita qui tue ses personnages les plus désarmés, tel le Poli du Diable sur les collines (Il Diavolo sulle colline) ou la Rosetta de Femmes entre elles (Tra donne sole), dans le recueil Le Bel Été. Le déplacement est au service d'un art du contrepoint dans lequel Pavese excelle. Ce contrepoint fait ressortir les contrastes des milieux et des personnages, permet la mise en abîme de l'énonciation dans La Lune et les feux (La Luna e i falò, 1950), met en œuvre le ressort du roman pavésien, qui est en définitive l'identification en ce qu'elle est acte de reconnaissance. Identification quant au désir et quant aux valeurs qui orientent une existence. L'écriture conjugue toujours les deux registres du subjectif et du social en sorte que la cohérence de l'œuvre ne tienne pas à un facteur dominant. La trame des significations se tisse, offrant au lecteur divers parcours de lecture. Sans doute cette hésitation – recherchée – quant à une ligne interprétative immédiatement lisible a-t-elle suscité des réserves dans un contexte politique et culturel dominé par le débat sur le réalisme. Elle est apparue comme le signe d'une incertitude idéologique et psychologique que le suicide et la publication posthume du journal ont semblé confirmer. Certes, une profonde tristesse émane du Métier de vivre, où l'écrivain se livre sans complaisance à l'analyse de ses faiblesses. Mais ce journal est aussi un extraordinaire laboratoire d'idées et de réflexions esthétiques d'une singulière actualité. Il est aussi, à sa manière, un récit de formation. Comme les romans, il présente un segment de vie et n'évoque pas les antécédents ; les retours en arrière s'inscrivent, à de rares exceptions près, dans les strictes limites chronologiques du texte. Écriture du jour au sens fort, fragmentée, déliée, soustraite aux coordonnées spatio-temporelles et à une stratégie narrative qui agence les éléments, elle interpelle le sujet par l'emploi du “tu”, le prenant à témoin de son être et de son travail de construction. Mais le récit de formation n'existe que dans sa dynamique de découverte et d'apprentissage. Ulysse, raconte Circé à Leucò, “le jour où il pleura sur mon lit, pleura non de peur, mais parce que l'ultime voyage lui était imposé par le destin, était une chose connue – Et alors pourquoi le faire ? me demanda-t-il”. Lorsque le retour du même, prenant l'aspect d'un nouvel échec amoureux avec l'actrice américaine Constance Dowling, en arrive à plaquer le présent sur la représentation,[...]

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