CÉSAROPAPISME
L'Empire chrétien de Constantin à Théodose (312-395)
Le conflit entre le totalitarisme du régime de la Tétrarchie et les chrétiens (304-312) fut de courte durée, bien que les persécutions, surtout en Orient, aient été violentes. Après une tolérance de fait, très vite, par la volonté de Constantin, une série de mesures accordèrent à l'Église chrétienne une situation privilégiée. L'empereur, seul maître du monde romain après sa victoire sur Licinius (324), héritier d'une tradition nationale qui faisait du chef le dépositaire de la paix des dieux, substituait la religion chrétienne à un paganisme défaillant qui avait déjà évolué vers un abstrait monothéisme. Une révolution, impensable dix ans plus tôt, exaltait la religion chrétienne qui, de persécutée, devenait triomphante. Constantin apparaissait comme un héraut providentiel, unificateur du monde romain et de la foi religieuse de ses sujets.
À partir de cette situation neuve, une nouvelle vision des rapports Église-État s'instaure à travers l'œuvre de l'évêque de Césarée, Eusèbe, le grand théoricien de cet Empire chrétien. Dans des œuvres apologétiques et dans les divers panégyriques de Constantin qu'il prononce en présence même de l'empereur, il développe l'idée d'une évolution providentielle de l'humanité : si le monde méditerranéen s'est peu à peu unifié sous la seule monarchie de Rome, c'est que cette unité politique était la condition nécessaire à l'édification de l'unité religieuse d'un Empire devenu chrétien par la volonté de Constantin. Se trouvent ainsi liés étroitement la paix que Rome a donnée au monde, la grandeur de l'Empire et le triomphe de la foi chrétienne sur le polythéisme : l'empereur, unique souverain sur la terre, correspond à l'unique Roi du ciel ; le règne de Constantin réalise la promesse faite par Yahwé au peuple élu. Eusèbe va plus loin : il affirme que l'empereur n'est pas seulement l'instrument de la puissance de Dieu, mais l'image même du Logos divin. L'apparition de Constantin dans l'histoire humaine s'inscrit donc dans le plan de Dieu ; elle a été prévue de toute éternité. Or cette théologie politique chrétienne d'un empereur image de Dieu n'est, au fond, que l'adaptation en contexte chrétien de la vieille théorie de la royauté sacrée ; elle plonge ses racines dans la tradition hellénistique de l'autorité du souverain et témoigne d'une très profonde fidélité à l'idéal traditionnel de l'empereur-pontife.
Constantin lui-même prit de plus en plus conscience de la grandeur de sa tâche. Se considérant comme le responsable de la foi religieuse de ses sujets, s'assimilant à un évêque, au treizième Apôtre, il ne cesse de trancher les difficiles problèmes posés à l'Église chrétienne par cette soudaine liberté et cette nouvelle puissance. Son intervention dans les querelles disciplinaires (donatisme) ou théologiques (arianisme) ne fut, du reste, que trop souvent sollicitée par les chrétiens eux-mêmes. Mais la conduite de Constantin reste guidée par le sentiment, très profondément sincère, qu'il exprime en ces termes : « La Providence divine agit de concert avec moi. » Il est le représentant direct de Dieu sur la terre, ses décisions sont par là même sacralisées ; il est le guide et l'édificateur du salut de ses sujets ; le zèle missionnaire de ce « nouveau Moïse » est ainsi le premier de ses devoirs ; il est ainsi naturellement conduit à considérer toutes les questions religieuses comme relevant directement de son autorité.
Cette prétention contre laquelle s'élevèrent les dissidents religieux, qu'ils fussent donatistes ou qu'il s'agît de théologiens en désaccord avec la foi officielle de l'empereur, s'est trouvée accrue[...]
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Écrit par
- Jean GOUILLARD : docteur ès lettres, directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section)
- Michel MESLIN : professeur émérite à l'université de Paris-Sorbonne, directeur de l'Institut de recherches pour l'étude des religions
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Médias
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