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CETTE CHOSE ÉTRANGE EN MOI (O. Pamuk)

Un roman polyphonique

Cette grande fresque touchante et éclairante, fourmillant de détails, déroule devant le lecteur la transformation d’une ville et la mutation d’un pays. Dans le même temps,Pamuk montre qu’il appartient à chacun de suivre son chemin vers le bonheur, même si le personnage principal, malgré ses conditions modestes, a l’impression « d’avoir usurpé une place au paradis ».

Contrairement à ceux qui l’accusaient d’être un écrivain bourgeois ou apolitique, Pamuk apparaît dans Cette chose étrange en moi comme un homme de sensibilité multiple, capable de donner la parole aux habitants sans défense des bidonvilles. Sur le plan stylistique, l’écrivain a l’art polysémique de raconter en même temps une histoire, de mettre en scène des personnages, des événements et leur arrière-plan sociétal. Par une touche originale, et sans jamais donner l’impression que le récit est haché ou interrompu, il fait parler les personnages qui, au milieu du récit, permettent au lecteur de mieux comprendre leur vision des choses. Racontée à la troisième personne, l’histoire de Mevlut est ainsi ponctuée de façon assez originale par les points de vue de son entourage exprimés à la première personne. Nationalistes, gauchistes, islamistes prennent la parole à tour de rôle et disent leur vérité sans déformation ni jugement. Un tour de force narratif remarquable. Mais ce pouvoir de pénétrer l’âme de personnages si radicalement différents caractérisait déjà son premier roman, Cevdet Bey et ses fils (1982) qui, dans la lignée de Tolstoï ou Thomas Mann, brossait une saga familiale relatée à travers un panorama sociétal.

— Michel BOZDÉMIR

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