CHACO
Une région convoitée
Les Espagnols remontant le Paraná cherchaient un accès direct aux régions minières andines. Deux promontoires de grès, dominant depuis la rive gauche la plaine du Chaco, fixèrent le site d'Asunción et de Corrientes. Mais, dès le xviie siècle, les colonisateurs durent se résigner à l'échec : malgré le succès de plusieurs expéditions, il s'avéra impossible d'ouvrir un passage régulier à travers la brousse, les marécages et les forêts du Chaco. Aussi cet ensemble répulsif, à peine parcouru par une trentaine de milliers d'Indiens chasseurs et pêcheurs, est-il partagé symboliquement, au moment de l'indépendance, entre les trois États qui l'encadrent : Bolivie, Paraguay et Argentine.
En 1870, l'écrasement militaire du Paraguay par ses voisins de l'Est et du Sud permet à l'Argentine de porter la frontière au Pilcomayo, en face même d'Asunción. Elle entreprend alors la conquête méthodique de son domaine en refoulant et décimant les Indiens à partir du río Salado, du Paraná et des vallées subandines de la province de Salta. C'est ainsi qu'à la fin du xixe siècle les marges humides du Chaco austral sont ouvertes à la mise en valeur et à la colonisation, qui revêtent selon les époques des styles originaux : ces « cycles » de l'élevage, du quebracho et du coton ont permis l'établissement d'environ 750 000 Européens, vivant principalement dans les secteurs forestiers humides et drainés de la région intermédiaire, entre les savanes inondables du Sud et de l'Est et la steppe désertique de l'Ouest.
Au nord du Pilcomayo, les vicissitudes historiques et les conditions climatiques, de plus en plus rigoureuses à l'approche du tropique, ont opposé à la mise en valeur et au peuplement des obstacles insurmontables. Après 1872, quelques sociétés argentines ou internationales s'approprièrent le Chaco, y créant des bases d'exploitation le long du fleuve. C'est ainsi que la famille Carlos Casado, de Rosario en Argentine, acquit près de cinq millions d'hectares de terres. Se consacrant à l'exploitation du quebracho pour en extraire le tanin, elle construisit un réseau ferroviaire de 170 km à voie étroite qui reliait les chantiers à l'usine de Puerto Casado sur le río Paraguay. D'autres sociétés se partagèrent le reste du Chaco humide, notamment la compagnie américaine I.P.C. qui établit sa base à Puerto Pinasco, cependant que les savanes inondables du Sud étaient réparties entre quelques familles d'Asunción en lots de 60 000 à 200 000 hectares que parcouraient de maigres troupeaux.
Aussi le gouvernement paraguayen autorisa-t-il, en 1927, l'implantation de colons mennonites sur d'immenses domaines (900 000 hectares) achetés à Carlos Casado, près de la frontière bolivienne. Il leur accorda une autonomie complète et des franchises, notamment l'exemption fiscale et militaire, que n'aurait pu tolérer aucun gouvernement de leurs pays d'origine (Canada, Allemagne, Russie, Mandchourie). Totalement isolés, protégés par la nature de tout contact avec les autorités et les populations paraguayennes, les mennonites reconstituèrent, sous l'autorité des Anciens, une société théocratique et collectiviste caractérisée par l'ardeur au travail créateur. Soutenu par de puissants groupes bancaires nord-américains, le courant de colonisation ne s'est jamais tari depuis 1927 et les mennonites sont environ 15 000. Philadelphie, à 500 km d'Asunción, est la « capitale » de ces colonies de petits paysans qui ont réussi à faire pousser le coton et l'arachide, à obtenir lait, viande, œufs et légumes à la limite du Chaco désertique.
Hormis ces noyaux avancés de colonisation, le Chaco était vide lorsque les pétroliers américains qui opéraient[...]
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Écrit par
- Simone DREYFUS-GAMELON : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales, responsable de l'équipe de recherche en ethnologie sud-amérindienne associée au C.N.R.S.
- Romain GAIGNARD : maître assistant des facultés des lettres et sciences humaines, professeur à l'université nationale de Cuyo-Mendoza, Argentine
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Médias
Autres références
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