CHAGALL, LISSITZKY, MALÉVITCH. L'AVANT-GARDE RUSSE À VITEBSK 1918-1922 (exposition)
Réinventer un espace de vie
Mettant l’accent sur l’étroite collaboration entre Lissitzky et Malévitch à l’époque, l’exposition les place dans une même salle. Pour le premier, le passage par la ville et l’école de Vitebsk a l’effet d’un rite initiatique, avec ce que cela implique d’abandon et de transformation. L’exposition montre toutes les facettes de son travail durant ces quelques années charnières : les merveilleuses illustrations de HadGadya(1919) dont l’univers pictural résonne avec celui de Chagall, son adhésion aux principes structurants du suprématisme qui culmine avec l’Histoire de deux carrés (1922), sa prise d’indépendance et l’invention des « projets pour l’affirmation du nouveau », dits Prouns, à partir de 1919-1920. Si, comme Malévitch, Lissitzky délaisse la représentation des objets, dans ses toileset dessins Prouns, l’apport des matières et des textures, souvent industrielles, est tout aussi producteur de sens que les formes peintes (Proun 23N [B111], 1920-1921). Architecte de formation, Lissitzky fait éclater l’espace bidimensionnel de la toile au moyen de la perspective axonométrique. En présentant à plat le DessinpourProun 6B (1919-1921), l’exposition rend hommage à son désir de rompre avec le statisme, la verticalité et la préciosité du tableau de chevalet, en déstabilisant le point de vue unique par le mouvement du spectateur.
Pour Kasimir Malévitch aussi, les années à Vitebsk tiennent une place à part, centrée sur l’enseignement et l’élaboration théorique du suprématisme comme conception du monde. Si l’exposition n’inclut que trois tableaux et quelques croquis de lui, c’est qu’il y peignit très peu. Les tracts, lettres et livres présentés révèlent le travail d’écriture qui l’animait, alors que la grande salle consacrée au collectif qu’il forma avec ses étudiants au sein de l’école en 1920-1922, l’Ounovis (« L’affirmation du nouveau en art ») rend tangible leur ambition de refaçonner le monde. Des tramways peints par Nikolaï Souiétine et Nina Kogan au Ballet suprématiste de cette dernière, des cartes d’alimentation imaginées par Alexandre Tsetline aux décorations de rue de Vera Ermolaeva, les esquisses et maquettes (dont plusieurs parues dans l’Almanach Ounovis no 1 en 1920) redessinent l’espace urbain et public, transforment les objets et les lieux de la vie quotidienne suivant les principes du suprématisme. Grâce à des prêts de collections privées et de musées biélorusses et russes, Chagall, Lissitzky, Malévitch : l’avant-garde russe à Vitebsk, 1918-1922rend hommage à la richesse de l’école populaire de Vitebsk, réunissant des œuvres rarement vues d’élèves et d’enseignants, parmi lesquels Iouri Pen, Lazar Khidekel, Lev Ioudine, Ivan Koudriachov, ainsi que de précieux documents et publications d’époque. Le catalogue pérennise cet ensemble iconographique unique et l’accompagne de textes critiques et d’une anthologie de textes inédits des différents acteurs de l’exposition.
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Écrit par
- Elitza DULGUEROVA : maître de conférences, université Paris-I, conseillère scientifique, Institut national d'histoire de l'art
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Média