PERELMAN CHAÏM (1912-1984)
L'œuvre de Chaïm Perelman s'inscrit depuis la fin des années 1950 dans le paysage de la pensée contemporaine, avec la parution du Traité de l'argumentation(2 vol., P.U.F., Paris, 1958) qu'il a écrit en collaboration avec Mme Olbrechts-Tyteca. Par la réhabilitation de la rhétorique, qui retrouve le statut philosophique que Platon lui avait dénié en la cataloguant comme sophistique et manipulation des esprits, Perelman peut sans conteste compter parmi les grands novateurs de l'époque.
Fondateur de la nouvelle rhétorique, Chaïm Perelman, né à Varsovie, émigra en Belgique en 1925 et fut, jusqu'en 1978, professeur de logique, de morale et de métaphysique à l'université de Bruxelles. Outre le Traité de l'argumentation il publia notamment : Rhétorique et philosophie(avec L. Olbrechts-Tyteca, P.U.F., 1952), Justice et raison (Presses universitaires de Bruxelles, 1963), Droit, morale et philosophie (L.G.D.J., Paris, 1968), Le Champ de l'argumentation (P.U.B., Bruxelles, 1969), Logique juridique (Dalloz, Paris, 1976), L'Empire rhétorique (Vrin, Paris, 1977), Le Raisonnable et le déraisonnable en droit (L.G.D.J., Paris, 1984). Il dirigea la collection Le Raisonnement juridique (Bruylant, Bruxelles), qui comprend 14 volumes sur la logique juridique et 7 sur l'égalité.
Si l'on y regarde de près, la démarche initiale de Perelman a coïncidé avec le rejet du positivisme logique. Cela équivaut en profondeur à dénier à la logique et aux sciences empiriques le rôle de modèle universel, dont la pensée philosophique devrait se nourrir pour simplement survivre. Ni la morale, ni le droit, ni même l'entièreté du raisonnement ne se trouvent recouverts par la logique. Bien plus, il est impossible en droit qu'elles le soient. Intrinsèquement, la logique est la mise en relation codifiée de termes et de propositions univoques. Elle présuppose un langage idéal, où, tel un échiquier, chaque élément a sa place fixée d'avance avec des règles préétablies et conventionnelles d'usage. Il ne faut pas être un grand spécialiste du langage pour se rendre compte que l'usage réel du discours est d'une tout autre nature. Les termes en sont ambigus parce qu'ils doivent se plier à la diversité des situations. Les propositions en subissent le contre-coup, comme le langage en général. Les règles sont floues, contextualisées, et l'équivocité se résout chaque fois dans la particularité des situations qui opèrent ainsi comme des conditions de sélection et de restriction.
L'adaptation d'un langage qui a des possibilités finies, aux contextes en nombre quasi infini exige une souplesse, une équivocité naturelle des mots que l'on pourrait penser être en contradiction avec toute rationalité dans la langue. Il en irait ainsi si raisonnement et logique formaient identité. Or, ce que Perelman a bien montré, pour la première fois, c'est que les raisonnements les plus fréquents s'enracinent non dans une logique construite et dématérialisée, mais dans la fluidité et le vague des notions communes. Celles-ci fonctionnent comme des présupposés partagés par les utilisateurs de la langue, comme des évidences qui ne sont telles que parce qu'elles sont imprécises et floues. L'accord des esprits naît de la compréhension de ce que l'autre veut dire ; et, si celui-ci peut jouer sur le vague pour nous manipuler, il peut aussi s'efforcer de partir de ce à quoi le vague nous fait penser pour nous faire accéder à une précision d'idées qui lui sont propres. La rhétorique argumentative est le raisonnement par lequel, de manière non formelle, une personne suscite l'accord au sein d'un auditoire. Croire qu'il s'agit là d'une démarche erratique, sans rationalité d'aucune sorte, n'obéissant qu'aux soucis du bon goût, de la bienséance et de la convention sociale,[...]
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Écrit par
- Michel MEYER
: professeur aux universités de Bruxelles et de Mons, directeur de la
Revue internationale de philosophie , vice-président du Centre européen pour l'étude de l'argumentation et directeur de la revueArgumentation
Classification
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