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SOUTINE CHAÏM (1893-1943)

Violence et splendeur

En 1925, Soutine rentre à Paris et occupe un vaste atelier rue du Mont-Saint-Gothard. Il y brosse, dans des circonstances restées légendaires, la suite formidable de ses Bœuf écorché dont les versions monumentales se trouvent dans les musées d'Amsterdam, de Grenoble, de Minneapolis et de Buffalo. Les pourpres rayonnent sur des fonds bleu nocturne, et la splendeur viscérale s'élargit aux dimensions cosmiques. Une lancinante série de Volailles plumées ou à demi-plumées accompagne celle des Bœuf écorché dans un accord moins ample mais plus aigu. Elles ne gisent pas sur la table comme de simples natures mortes, mais sont accrochées par le bec ou les pattes, contre un pan de mur, victimes immolées dont le cri d'agonie déchire le gosier. Quelle force plus profonde que le sadisme pousse Soutine à multiplier ces motifs dramatiques qui sont aussi pour ses yeux de peintre d'ineffables régals ? « Cruauté qui ne vient pas de l'esprit, dit Élie Faure, mais du cœur, obéissance aux forces inexorables qui nous rivent aux nécessités de la mort ? »

Entre 1925 et 1930 paraissent les Enfants de chœur, en pied, en buste ou à mi-corps, de profil ou de trois quarts, dressés ou assis, avec ou sans surplis. Les vêtements ecclésiastiques, endossés avec gaucherie, accusent par contraste l'allure souffreteuse et ingrate des modèles et laissent resplendir sur des fonds verts et bleutés les deux couleurs souveraines de Soutine, les incarnats et les blancs. Ses plus anciennes natures mortes ne représentent-elles pas significativement des Glaïeuls et des Lilas ? Comment dire la fraîcheur de ses blancs, plus subtile que celle des blancs d'Utrillo, la variété triomphante des rouges, pourpres et carmin, réséda et cramoisis ? Flux des ardeurs et des révoltes, substance même du feu, du sang, le rouge obsessionnel de Soutine éclate et culmine en 1927 avec les Groom et les Chasseur, vus frontalement, tantôt résignés, parfois provocants. Soutine, contrairement aux fauves, n'exaspère jamais ses couleurs pour leur seule amplitude décorative ; elles restent toujours pétries de richesse humaine et de justesse expressive. « Que sont les couleurs, demande le poète Hugo von Hofmannsthal, si elles ne révèlent pas la vie intime des objets ? »

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