CHAMANISME
Le chamanisme de chasse : échange avec la surnature nourricière
De fait, dans les sociétés classiquement considérées comme chamaniques, le chamanisme est étroitement lié à la chasse : il a pour fonction essentielle d'assurer la perpétuation de la vie en soumettant à des règles l'obtention du gibier, lui imposant un ordre qui à la fois pallie les aléas de son apparition et justifie sa prise par l'homme ; c'est une fonction régulière, fondamentale. Elle repose sur la conception que les êtres naturels dont les humains se nourrissent (gibier, poisson, végétaux) sont animés par des esprits, qui sont à l'animal ou à la plante ce que l'âme de l'homme est à son corps. Elle consiste à établir et à entretenir des relations avec ces esprits pour avoir accès aux être naturels qu'ils animent (autrement dit, elle consiste à agir symboliquement sur la surnature, comprise comme ce qui anime la nature, en vue de pouvoir prélever dans les ressources de celle-ci). Ces relations entre le monde des humains et le monde confondu des animaux et des esprits sont conçues à l'image de celles des humains entre eux. Ainsi, la prise de gibier (celle, symbolique, du chamane, et celle, réelle, du chasseur qu'elle conditionne) nécessite, comme toute prise – sauf à être illégitime et susciter des représailles –, d'être fondée sur une relation d' échange et compensée par une contrepartie. Selon cette logique, chacun des mondes est le gibier de l'autre : de même que les humains mangent la viande des animaux, les esprits des espèces sauvages sont censés dévorer la chair et boire le sang des humains ; le renouvellement des générations humaines est donc la condition de la réapparition du gibier. C'est la gestion globale de cet échange qui incombe à la fonction chamanique ; si le point fort et valorisé en est la prise (l'obtention du gibier), le retour de la contrepartie (par la reproduction et la mort des humains) n'en est pas moins également à sa charge. Cet échange est régi par un accord, voire par une véritable relation d'alliance avec la surnature.
C'est dans les sociétés autochtones de Sibérie (dans leur état traditionnel, celui antérieur à la période soviétique) qu'une telle alliance est le plus manifeste, apte à illustrer les principes fondamentaux du chamanisme, moins clairement repérables ailleurs : elle y est de type matrimonial. Le chamane prend une épouse par monde nourricier ; ainsi, il épouse la fille de l'esprit donneur de gibier, généralement appelé esprit de la forêt et imaginé sous la forme d'un grand cervidé – élan ou renne, gibier par excellence –, ou celle de l'esprit des eaux, donneur de poisson. Elle l'a, pense-t-on, « élu » pour mari. Comme elle reste animale dans sa relation conjugale avec le chamane, c'est à lui de la rejoindre. Il doit donc aller dans la surnature ; c'est elle qui lui permet le « voyage », incarnée dans son tambour (considéré comme un « élan », une « barque », etc.), « transportant » son époux dans tous les sens du terme. Il doit aussi s'animaliser, ce qui s'exprime dans son accoutrement (costume en peau de cervidé, coiffe en couronne à ramure, etc.), et dans l'apparence ensauvagée de son comportement rituel : par force bonds et brames, il mime l'ardeur agressive du mâle en concurrence et l'accouplement sexuel, imitant la double virilité de son modèle animal, qui subordonne la prise de la femelle à la victoire sur le mâle rival (la ramure en est l'arme). Dans la plupart des langues sibériennes, la terminologie du chamane et de l'action chamanique est liée au rut animal, explicitement, ou par l'idée de bonds ou de coups de tête (caractéristique des ruminants à cornes et des gallinacés, également modèles de « virilité » à la fois sexuelle et guerrière).[...]
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Écrit par
- Roberte Nicole HAMAYON : docteur ès lettres, directeur d'études à l'École pratique des hautes études, Ve section (sciences religieuses)
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