CHAMANISME
Principes similaires, expressions diverses
Ailleurs dans le monde, dans les sociétés reconnues en tout ou en partie chamaniques, les mêmes principes se retrouvent, liés entre eux, bien que de façon souvent confuse, et avec toutes sortes de nuances dans l'expression. Le principe de base reste que l'obtention de la subsistance dépend d'un contrat avec les esprits qui gouvernent les êtres naturels, et que ce contrat repose sur un échange entre les deux mondes dont chacun nourrit l'autre – de façon directe ou médiatisée selon les sociétés. La notion d'interdépendance entre société humaine et espèces naturelles, courante dans l'ethnographie australienne, peut en être considérée comme une variante. Partout ce principe entraîne la notion d'un rapport de nécessité entre mort et vie, et sa mise en scène dans des rituels réguliers de perpétuation, ainsi qu'une ambivalence générale : tant les esprits responsables de la subsistance que les spécialistes de relations avec eux peuvent être bons ou mauvais.
Prix à payer, la mort est conçue et traitée comme assurant la perpétuation de l'échange entre la société et son environnement naturel, grâce à une sorte de recyclage de la force de vie dans l'état de mort. Ce recyclage s'exprime souvent par l'idée de réincarnation comme en Sibérie, mais aussi par d'autres représentations, comme celle que les têtes réduites des ennemis tués à la chasse aux têtes préfigurent le poisson à pêcher (Jivaros, Équateur), ou comme celle que les morts reviennent en pluies (Guajiros, Venezuela). Les rituels réguliers visant au renouvellement de la vie (des animaux, des saisons, etc.) articulent l'idée de contrat entre l'homme et la nature avec celle de réincarnation ou de réutilisation des âmes ou des principes vitaux tant au sein des espèces naturelles que des groupes humains ; cette seconde idée est souvent mise en scène dans un schéma de mort et de renaissance symboliques, qui opère également comme épreuve initiatique pour certains individus (en Australie par exemple). Ces rituels comportent généralement des danses d'imitation des animaux, explicitement destinées à favoriser leur reproduction. L'exemple des Tucanos mai huna d'Amazonie est particulièrement éloquent : au cours de telles danses, les hommes d'ordinaire chasseurs de pécaris imitent le comportement des pécaris mâles, puis se font pécaris femelles, adoptant le sort commun de la femme et du gibier. Chez leurs voisins desana, c'est dans le cadre de l'activité du chamane que s'exprime l'idée de l'utilité de la mort des uns pour la vie des autres : le chamane négocie explicitement le nombre d'âmes humaines à donner aux esprits en échange du gibier. Ailleurs, maladies, saignements rituels, mort par suite d'excès de bonne fortune à la chasse ou à la pêche, etc., peuvent être conçus comme constituant la contrepartie humaine. Partout, cette notion de contrepartie humaine recule à mesure que se développe une forme d'économie organisée, permettant offrandes de nourriture, sacrifices, etc. Par ailleurs, bien qu'inévitable et à sa manière positive, l'infortune humaine est susceptible d'être différée dans le temps ou dans l'espace, ou par de multiples médiations ; la tâche du chamane est souvent (surtout en Amérique du Sud) de renvoyer sur un groupe ennemi les maladies de son groupe. La conception générale que les forces de vie et les devoirs de mort sont en nombre limité et en reproduction perpétuelle contribue au développement des relations de rivalités et d'envies qui caractérisent la plupart des sociétés chamaniques dans le monde : quiconque a trop (de gibier, d'enfants, de santé familiale, de richesses) spolie les autres.
Les principaux esprits sont le plus souvent conçus donneurs de[...]
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Écrit par
- Roberte Nicole HAMAYON : docteur ès lettres, directeur d'études à l'École pratique des hautes études, Ve section (sciences religieuses)
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