CHAMFORT (1741-1794)
Le révolutionnaire
Avec plus de désintéressement et de fermeté que Mirabeau, Chamfort salua et servit une révolution que maintes fois il avait imprudemment, indécemment appelée. Il se dévoua corps et esprit à une action politique qui se proposait d'inverser l'ordre social abusif. Il le fit avec une lucidité, une véhémence, un courage aussi (ne se manifestant vers la fin aux assemblées que lorsqu'il était dangereux d'y prendre la parole) qui faisaient dire à Nietzsche que, « privée de Chamfort, la Révolution serait restée un événement beaucoup plus bête et n'exercerait point cette fascination sur les esprits ». Il faut lire les Tableaux de la Révolution française et les divers articles qu'il publia (à propos d'une Pétition des juifs établis en France, d'un Essai sur la mendicité, des Mémoires du maréchal de Richelieu ou de Maurepas, bien d'autres encore), on verra comme il justifie une cause qui devait si mal le récompenser mais que, fidèle à soi, jusqu'au bûcher inclusivement, il tenta de défendre contre elle-même. Qu'on lise au moins, dans les débris de ce qui eût été l'une des plus belles correspondances du siècle, la lettre à Vaudreuil, du 13 décembre 1788 ; qu'on n'oublie point qu'elle s'adressait à un aristocrate, futur émigré, protecteur de Chamfort, son seul ami ou presque. On ne s'étonnera pas si, académicien et pensionné par l'Ancien Régime, ce même Chamfort a su écrire en 1790 : « J'entends crier à mes oreilles tandis que je vous écris : Suppression de toutes les pensions de France ; et je dis : Supprime tout ce que tu voudras, je ne changerai ni de maximes, ni de sentiments. Les hommes marchaient sur la tête, et ils marchent sur les pieds ; je suis content : ils auront toujours des défauts, des vices même ; mais ils n'auront que ceux de leur nature, et non les difformités monstrueuses qui composaient un gouvernement monstrueux. » Certes Chamfort conclut un peu vite à l'excellence de la roture ; mais quoi ? il avait choisi : « Moi, tout ; le reste rien : voilà le despotisme, l'aristocratie, leurs partisans. Moi, c'est un autre ; un autre, c'est moi : voilà le régime populaire et ses partisans. Après cela, décidez. » Entre autres choses, il avait décidé, lui, d'écrire pour Mirabeau le Discours contre les académies ; c'est dire l'homme et le citoyen qu'il était.
Mais cette image d'un Chamfort naïvement fidèle à une révolution qui l'accula au suicide, comme elle cadre mal avec celle du misanthrope acerbe et négateur ! C'est que la seconde est abusive et ne rend pas compte du débat intérieur et de l'homme même. Et ce suicide manqué, ce sombre massacre courageusement perpétré, pourquoi le confondre avec un acte politique, une accusation jetée à la face de la Révolution ? Suicide de philosophe et d'homme libre, c'est tout. « Si j'avais su que ce fût au Luxembourg, disait Chamfort, je ne me serais peut-être pas tué. » Car c'est aux Madelonnettes qu'il ne voulait point retourner, libre qu'il était de refuser la promiscuité des latrines et l'impossibilité de laver ses plaies. Ce n'est pas pour cela qu'il désespérait de la Révolution ou des hommes de sa classe. De fait, à peu près guéri, il reprenait goût à la vie et à la Révolution, lorsque la maladresse d'un médecin l'acheva, en mars 1794.
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Écrit par
- Jeannine ETIEMBLE : docteur en littérature française, maître assistant à l'université du Maine, Le Mans
Classification
Autres références
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MAXIMES, PENSÉES, CARACTÈRES ET ANECDOTES, Chamfort - Fiche de lecture
- Écrit par Jean Marie GOULEMOT
- 932 mots
Enfant naturel, élève doué, lauréat de l'Académie, académicien et pourfendeur de cette même Académie, dramaturge, révolutionnaire, administrateur de la Bibliothèque nationale, Sébastien-Roch Nicolas, dit Chamfort (1740-1794), échappa à la Terreur en tentant de se suicider. La postérité...