CHAMPA ou CAMPĀ
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L'art du Champa
Ph. Stern a, le premier, établi la chronologie relative correcte des monuments cham par une étude de l'évolution des motifs de décoration. Les travaux ultérieurs n'ont fait qu'apporter de nouvelles précisions et quelques rectifications de détail.
Les vestiges de l'indianisation antérieurs à 650 et le style de Mi-son E 1 (650-730 env.)
Les plus anciennes inscriptions ne mentionnent que des liṅga, mais les textes chinois attestent l'existence d'idoles anthropomorphes au Linyi dès le ve siècle. Pour cette époque, il ne subsiste rien d'une architecture, vraisemblablement faite en matériaux légers, et, avant 650 environ, on ne peut citer que quelques sculptures isolées. La plus célèbre est le Bouddha debout trouvé à Dông-duong, statue en bronze de plus d'un mètre de hauteur, œuvre très profondément apparentée à la tradition indienne (style d'Amarāvatī, ou style singhalais d'Anurādhapura). Cette image, que l'on peut dater de la période ive-vie siècle, s'intègre à la série des Bouddha en bronze qui ont été trouvés en divers points de l'Asie du Sud-Est et qui attestent l'importance de l'expansion bouddhique à cette haute époque.
Les monuments qui se trouvent dans le cirque de Mi-son, sans atteindre jamais à l'ordonnance des plans khmers, sont néanmoins groupés dans des enceintes quadrangulaires, parfois contiguës ; en général, on trouve dans ces enceintes un monument central plus important, entouré d'édifices secondaires de types, de dimensions et d'orientations assez divers. À l'intérieur d'une même enceinte, les différents monuments sont très souvent d'époques différentes ; dans plusieurs cas, on trouve, à l'extérieur de l'enceinte, de longues salles qui font certainement partie du même ensemble. La désignation des groupes par des lettres (les monuments contenus dans une enceinte constituent un groupe) et, à l'intérieur des groupes, des monuments par des chiffres a été établie lors du dégagement du site. Elle ne correspond ni à la chronologie ni à la structure des ensembles. Il ne reste à peu près rien de Mi-son E 1, le plus ancien vestige du site. C'était une cella rectangulaire à murs minces, ornée sur toutes ses faces et aux quatre angles de pilastres ; le matériau est (et sera toujours) la brique, certaines pièces du décor architectural (frontons, colonnettes, etc.) étant sculptées dans des blocs de grès. Les parois sculptées du piédestal de Mi-son E 1 témoignent d'un naturalisme et d'un sens du mouvement remarquables (atlantes en plein élan, les bras étendus, tenant des écharpes). L'art cham de cette haute époque paraît très proche des arts voisins et contemporains (le fronton de Mi-son E 1, représentant Viṣṇu couché, est apparenté à un linteau préangkorien). On peut placer dans le prolongement de ce style les tympans (réemplois) de Mi-son C 1 et de Mi-son A 1 (représentations de la danse de Śiva). Parmi les sculptures en ronde bosse apparentées au même style, citons le Gaṇeśa de Mi-son E 5, œuvre hiératique et puissante, et le Viṣṇu de Da-nghi.
Hoa-lai
Le groupe de Hoa-lai (au Pāṇḍuraṅga, fin de la seconde moitié du viiie s., ou début du ixe) est un ensemble de trois kalan (tour sanctuaire, cella carrée à haute toiture encorbellée, cf. le prasat khmer). Hoa-lai constitue le plus ancien ensemble encore debout, bien que très dégradé, qu'on ait retrouvé au Champa. Ph. Stern, à partir de l'étude d'éléments du décor architectural (arcatures en U renversé, décor médian sculpté dans la brique ornant les pilastres, etc.), a situé Hoa-lai dans une chronologie relative. Aux motifs simplement décoratifs s'ajoutent des bas-reliefs sculptés eux aussi dans la brique (Garuḍa-atlantes de la corniche, dvārapāla des fausses portes, dont les parures témoignent peut-être d'une influence de l'art indo-javanais).
D'autres monuments posent quelques problèmes aux archéologues : Pho Hai et Prasat Damrei Krap. Pho Hai (au sud de Hoa-lai près de Phan-thiêt), témoignant du particularisme foncier des provinces méridionales, ne se laisse rattacher ni à l'art khmer ni à l'art cham. Le sanctuaire central de Prasat Damrei Krap (sur le Phnom Kulen, au Cambodge) est un édifice cham par son architecture (mais non par ses linteaux et ses colonnettes, qui sont khmers et du style du Kulen). Pour Ph. Stern, ce serait le plus ancien édifice cham encore debout, antérieur à Hoa-lai, mais, selon des travaux de J. Boisselier, Hoa-lai lui serait cependant antérieur.
Un assez grand nombre de statuettes en bronze ont été découvertes, images bouddhiques dont la plupart sont mahāyāniques (représentations du bodhisattva Avalokiteśvara). Elles présentent des analogies avec l'art indo-javanais (dates limites : fin du viie siècle – début du xe siècle).
Dông-duong (875) et style de Dông-duong (jusqu'à 915 env.)
À Dông-duong se trouvent le temple et le monastère bouddhique consacrés à Lakṣmīndralokeśvara par le roi Indravarman II. Ce grand ensemble, normalement orienté, se développe sur une longueur de 1 330 m et comprend d'ouest en est : le temple proprement dit, à l'intérieur d'une enceinte rectangulaire de 325 m sur 155 m, une chaussée de 763 m, un bassin rectangulaire de 240 m sur 300 m. Le temple comporte plusieurs sections (seule la partie centrale a été dégagée). On y observe des dispositions spécifiquement bouddhiques (grands autels adossés, tours-stūpa évoquant un peu celles de Chine et du Vietnam, encadrant les gopura) ; la grande salle aux piliers de la section III était vraisemblablement le vihāra. Le décor architectural de Dông-duong est caractérisé par la forme des arcatures (désormais ogivales, avec au sommet un fleuron ovoïde d'où retombent symétriquement des volutes de feuillage) et surtout par un nouveau traitement du décor végétal sculpté. De plus en plus fouillé, celui-ci prend l'apparence d'un décor vermiculé ; à la fin du style (Mi-son A 10), les lignes directrices du décor s'effaceront complètement dans une prolifération « échevelée » (Ph. Stern). La statuaire de Dông-duong, très abondante (Bouddha, moines, donateurs, dvārapāla-gardiens de porte...), est empreinte d'une forte originalité. Son trait le plus marquant est l'aspect « négroïde » des visages, qui n'est qu'une exagération des tendances antérieures de l'art cham. Divers apports chinois sont décelables (vêtement des Bouddha drapé selon le mode chinois, attitude menaçante des dvārapāla en ronde bosse). Témoignant des mêmes tendances, une grande statue de Tārā en bronze (h. 1,20 m), découverte vers 1975, révèle une maîtrise technique insoupçonnée.
Mi-son A 1, Tra-kiêu (Xe s.)
En architecture, le style de Mi-son A 1 est à la fois celui de ce sanctuaire éponyme, des templions qui l'entourent (A 2 – A 7) et de la plupart des monuments des groupes B, C et D. En dehors de Mi-son, les trois tours-sanctuaires de Khuong-my représentent le début du style qui est une réaction « classique » aux excès précédents du décor architectural. On décèle également des influences indonésiennes (apparition de rinceaux réalistes, niches à kāla et makara). Autres caractéristiques de ce style : les « orants » sous arcature scandant les parois, les pièces d'accent à décor ajouré, les amortissements d'angle, réductions de tour-sanctuaire. L'arcature a évolué : le feuillage vermiculé ayant disparu, seules subsistent les formes qu'il avait engendrées. La sculpture (désormais sur fond de stèle ou en bas relief) est le plus bel apport du style de Mi-son A 1. Il faut y distinguer deux phases successives. En premier lieu dans le style de Khuong-my, l'esthétique s'affine peu à peu, les traits s'adoucissent, les visages deviennent demi-souriants (Krishna Govardhana du tympan de Khuong-my ; à Mi-son : divinités assises des templions des groupes B et A, orants sous arcature de B 5, de D 1, etc.). Ensuite (style de Tra-kiêu), l'influence indo-javanaise devient prépondérante : visages glabres, modelés avec sensibilité, empreints d'une douceur souriante ; attitudes variées, souples et harmonieuses (piédestal de Tra-kiêu, dont la base, ornée d'une théorie de personnages, illustre la légende de Krishna ; le très célèbre piédestal « aux danseuses », également trouvé à Tra-kiêu).
Le style du Binh-dinh (XIe-XIIIe s.) et la décadence ultérieure
Une longue transition (fin du xe siècle et partie du xie ?), mène du style de Mi-son A 1 à celui du Binh-dinh (appelé, pour la sculpture, style de Thâp-mâm) : le décor architectural se simplifie et s'alourdit tout à la fois (pilastres non décorés, multiplication et amenuisement « en fer de lance » des fleurons, amortissements d'angle n'évoquant plus qu'une superstructure d'édifice. Les principaux monuments sont : Mi-son E 4, Chien-dang, Chanh-lo. Pendant cette période, la sculpture s'oriente vers le durcissement et le hiératisme. Le style du Binh-dinh continue cette évolution (Mi-son G 1 et B 1 ; dans le Binh-dinh : tours d'Argent, Hung-thanh, tours d'Ivoire, tour de Cuivre et tour d'Or). Un motif, sorte de virgule épaisse, envahit le décor architectural et la sculpture (on le trouve sur les dragons de Thâp-mâm, images dynamiques et cocasses, témoignant d'influences sino-vietnamiennes). Un apport khmer est décelable, d'abord sous forme d'influence assimilée (superstructures « en obus » de Hung-thanh, rappelant celles d'Angkor Vat), puis, pendant l'occupation khmère sous Jayavarman VII, par une importation d'œuvres du style du Bayon.
Plus tard, les fonds de stèle recevront des sculptures de plus en plus médiocres (style de Yang-mum, xive-xve siècle : les jambes de la divinité assise se réduisent à une masse triangulaire ; style de Po Rome, xvie siècle : le personnage est traité en buste ; stèles funéraires encore plus tardives – les kut –, dont certaines évoquent encore une silhouette humaine, où l'on penserait voir autant une résurgence d'un passé mégalithique qu'une influence des stèles funéraires musulmanes). Il n'y a plus, en matériaux durables, que quelques sanctuaires abâtardis, aux formes alourdies, au décor grossier ou inexistant : Po Klaung Garai, Po Rome (xve-xvie s. ?). Il faut encore mentionner les « trésors des rois cham » : parures de statues qui attestent la perpétuation d'une certaine forme d'hindouisme très décadente, mais riche d'enseignement pour la connaissance de ce qui fut le Champa.
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Écrit par
- Albert LE BONHEUR : conservateur au Musée national des arts asiatiques-Guimet
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Voir aussi
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- MI-SON STYLES DE
- BINH-DINH STYLE DU
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