DUPREE CHAMPION JACK (1910-1992)
Le pianiste et chanteur de blues Champion Jack Dupree laisse une œuvre importante pleine de verve, de swing et d'humour. Bien qu'il ait accompli l'essentiel de sa carrière à New York puis en Europe, son jeu de piano puissant et percussif, riche de multiples décrochements rythmiques, est très représentatif de la tradition du blues de La Nouvelle-Orléans, dont il apparaît comme un des véritables créateurs, influençant d'évidence Professor Longhair ou Fats Domino.
William Thomas Dupree naît à La Nouvelle-Orléans le 4 juillet 1910. Il perd très jeune ses parents, qui périssent dans l'incendie – accidentel ou provoqué par le Ku Klux Klan – de leur habitation. Élevé dans la Colored Waifs' Home, orphelinat de La Nouvelle-Orléans où avait été envoyé Louis Armstrong, et jouant très jeune du piano, Dupree commence une carrière de boxeur avant de se consacrer entièrement à la musique ; il y gagnera le sobriquet de « Champion Jack ». Comme il admire le très influent pianiste Leroy Carr, fixé à Indianapolis, il s'installe dans cette ville et réussit à s'associer avec l'équipier préféré de Carr, le guitariste Scrapper Blackwell. Dupree finit par imiter à la perfection le chant désabusé et prenant de Leroy Carr et enregistre à partir de 1940 une série de beaux blues dans cette manière : Chain Gang Blues, Junker's Blues, Cabbage Greens...
Fort d'une réputation de bluesman profond et d'un sens de la scène qui lui vaut les faveurs d'un large public, Dupree choisit de s'installer à New York en 1944. Il va y enregistrer de façon abondante, en compagnie des meilleurs musiciens de la ville (Sonny Terry, Brownie McGhee, Mickey Baker, Larry Dale). Outre ses qualités de pianiste et de chanteur, Dupree est un compositeur à la fois truculent et sensible, observateur hors pair de la vie des ghettos noirs. Il obtient ainsi plusieurs succès commerciaux (Highway 31, Stumbling Block, Number Nine Blues, Walking the Blues) et grave en 1958 son meilleur album, le magnifique Blues From the Gutter (Atlantic) : ce « blues de l'égout » traite de l'alcool, de la drogue, du jeu et de la prostitution avec une économie de moyens qui suscite un maximum d'émotions.
Dupree est un des premiers à s'aviser du fort courant d'intérêt pour le blues en Europe, où il décide de s'expatrier afin de fuir le racisme régnant dans son pays. Il s'installe au début des années 1960 en Grande-Bretagne, où il est reconnu d'emblée comme un artiste de premier plan. Il joue dès lors essentiellement pour un public européen, devient un des chouchous du « blues boom » anglais, enregistre avec John Mayall, Eric Clapton, le groupe Fleetwood Mac. Il grave aussi de nombreux albums en solo dans lesquels il peut développer davantage son jeu de piano. Mais, comme pour tous les bluesmen ou jazzmen expatriés, la coupure avec le monde noir américain qui nourrissait l'inspiration finit par produire ses effets et Dupree verse progressivement dans la routine, autant sur scène que dans ses disques, répétant à satiété les mêmes morceaux et les mêmes figures instrumentales.
Heureusement, à la fin de sa vie, La Nouvelle-Orléans reconnaît enfin son œuvre de pionnier dans la musique de la ville, le fait venir en 1990 au New OrleansJazz and Heritage Festival et lui réserve un triomphe ; le maire lui remet même les clés de la ville. Dupree enregistre alors pour le label Bullseye Blues du pianiste Ron Levy ses seuls albums à La Nouvelle-Orléans, en compagnie de remarquables musiciens vétérans du style local : Back Home in New Orleans, Forever and Ever et One Last Time sont d'étonnantes réussites d'émotion et de fraîcheur pour un musicien octogénaire et constituent le brillant testament d'un des grands créateurs originaux du blues. Champion Jack Dupree meurt à Hanovre, en Allemagne, le 21 janvier[...]
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Écrit par
- Gérard HERZHAFT : écrivain
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