CHANGE Les régimes de change
Les enseignements des crises
Les crises du système monétaire européen (S.M.E.)
En 1992-1993 (et à nouveau en 1995, mais nous nous attacherons aux deux premières crises), des attaques spéculatives très violentes ont été menées sur les monnaies jusqu'alors liées au deutsche Mark dans le S.M.E. : livre sterling, lire, peseta, franc français. Ces attaques ont fait disparaître le S.M.E., les monnaies concernées quittant le régime de changes fixes liés au deutsche Mark (dans le S.M.E., les parités bilatérales ne devaient pas dévier de plus de ± 2,25 p. 100 par rapport à une parité centrale ; après la crise, ces marges ont été élargies à ± 15 p. 100 faisant perdre au système sa nature de changes fixes).
En fait, le S.M.E. était en théorie un système symétrique : les marges étaient définies pour tous les couples de devises, les unes vis-à-vis des autres ; dans la pratique, il est devenu un système asymétrique, avec une référence au deutsche Mark.
Rappelons d'abord les faits, à travers l'exemple significatif de l'Italie.
Durant l'été de 1992, la lire sort brutalement du S.M.E. et, en six mois, se déprécie de près de 30 p. 100 vis-à-vis du deutsche Mark. La sortie du S.M.E. a lieu malgré une très forte hausse des taux d'intérêt à court terme, en raison de la perte des réserves de change de la Banque d'Italie : de 1990 à 1992, elles baissent de 50 milliards de dollars. Les marchés financiers réalisent à quel point la compétitivité de l'Italie est dégradée : malgré la fixité du change vis-à-vis du deutsche Mark, l'excès d'inflation reste substantiel. L'Espagne et le Royaume-Uni connaissent une situation similaire.
Le déroulement de la crise du S.M.E. est riche d'enseignements que l'on retrouve dans le modèle théorique dit de « crise des balances des paiements » :
– la crise a lieu bien avant le moment où la perte de compétitivité viderait les réserves de change – ce sont les sorties de capitaux qui vident les réserves ; les marchés financiers anticipent les difficultés futures liées à la perte de compétitivité ;
– la fixité des changes n'assure pas une désinflation suffisamment rapide pour éviter cette perte de compétitivité : l'inertie de l'inflation (et des anticipations d'inflation) est telle qu'il faut d'abord réduire l'inflation avant de bloquer la parité nominale ;
– le fonctionnement très asymétrique du système (la charge de la stabilisation de la lire reposait essentiellement sur la Banque d'Italie) implique, comme on l'a vu, son instabilité.
L'enseignement essentiel des crises du S.M.E. de 1992-1993 est donc que la fixité du taux de change nominal n'est pas une arme efficace pour lutter contre l'inflation.
Il faut aussi noter que, dans certains cas (celui de la France en particulier), la crise de 1992-1993 n'était pas liée à une perte de compétitivité ou à une dégradation anticipée de la balance commerciale. Il y a probablement eu un mimétisme de la part des spéculateurs, mais aussi, ce qui est beaucoup plus intéressant, un doute grandissant quant à la soutenabilité de la politique monétaire (en changes fixes) : pour qu'une politique monétaire soit crédible, il faut non seulement qu'elle n'entraîne pas de pertes de réserves de change, mais aussi qu'elle n'implique pas de coûts économiques insupportables : croissance faible à cause des taux d'intérêt trop élevés, hausse du chômage.
Après la réunification allemande, la politique monétaire des autres pays européens a suivi celle de l'Allemagne ; elle est devenue beaucoup plus restrictive que ne le justifiait leur propre situation interne. Les marchés ont jugé que cette restriction monétaire allait être rejetée à terme, même dans le cas de pays comme la France qui ne rencontraient[...]
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Écrit par
- Patrick ARTUS : directeur des études économiques, Caisse des dépôts et consignations
Classification
Médias
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