CHANGEMENT SOCIAL
Facteurs de changement
La dimension endogène
Ainsi l'importance des facteurs endogènes dans le changement est-elle soulignée. Schumpeter voyait dans l'innovation une solution à la fois non nécessaire et non optimale, mais proprement créatrice, affectant les séries historiques d'une forte discontinuité et d'une irréversibilité plus ou moins marquée. Reste évidemment à se demander ce qu'il y a de proprement endogène dans l'innovation, sous peine de lui attribuer une faculté, ou « vertu » occulte.
Dans leur effort pour expliquer les changements radicaux qui bouleversent le cours d'une histoire et la physionomie d'une société, les sociologues ont fixé leur attention sur le domaine des valeurs ou préférences collectives. Le fameux essai de Max Weber sur L'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme (1904-1905) constitue de ce point de vue une contribution décisive. Le capitalisme – ou plus généralement la société industrielle – présente avec les formes d'organisation antérieures – que l'on peut, avec Max Weber, appeler « traditionnelles » – un contraste suffisamment marqué pour que le terme d'innovation puisse être adéquatement appliqué au grand mouvement qui affecte les diverses sociétés européennes à partir du xvie siècle. L'avènement de la science expérimentale, l'application de ses découvertes à des fins pratiques, l'autonomie accordée aux techniques, aux rapports d'échange et de production, la laïcisation du pouvoir politique, de son exercice comme des sources de sa légitimité, constituent, de toutes les discontinuités qui marquent l'histoire de l'humanité, la plus lourde de conséquences et la plus riche de significations. En outre, elle s'est répétée sous nos yeux dans le cas des pays sous-développés accédant à la modernité par la maîtrise de certains pouvoirs (déterminant pour une large part le rendement physique et économique de la production comme l'efficacité de l'organisation sociale et politique) qui sont liés à la possession et à l'usage de certains recours, procédures et institutions apparentés « ou du moins comparables » à ceux qui sont en vigueur dans nos propres sociétés.
Des institutions comme le marché, l'« organisation rationnelle du travail libre » (M. Weber), l'élection des dirigeants politiques, ou du moins leur contrôle par leurs commettants tranchent si brutalement avec celles du passé qu'une telle rupture suppose une véritable conversion des croyances et des orientations vitales les plus essentielles. Pour que les Européens du xviie siècle acceptent les disciplines de la recherche scientifique et technologique, il fallait qu'ils aient d'abord retiré au monde son épaisseur et son mystère, qu'ils l'aient transformé en un ensemble d'objets et de données, bref qu'ils lui aient préalablement retiré ses qualités esthétiques et sacrées. Ce « désenchantement du monde », pour prendre à Weber une expression qu'il a lui-même empruntée à Schiller (1759-1805), a été, dans le cas de l'Occident moderne, rendu possible, ou du moins préparé par la révolution théologique du protestantisme, et plus précisément du puritanisme dans sa variante calviniste. Un changement social de l'importance de celui qu'apportent le capitalisme et la civilisation industrielle supposait une révolution dans les manières de penser et de sentir, dans le « système de valeurs » de la société occidentale.
Et, sans doute, faut-il en voir une sorte de confirmation indirecte dans l'absence de valeurs puritaines qui caractérise certaines sociétés de tradition occidentale. Tel serait le cas des pays de tradition « latine » (Espagne, Italie, Amérique latine, et dans une certaine mesure la France), dont les difficultés à assimiler les[...]
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Écrit par
- François BOURRICAUD : professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne
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