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CHANSON À BOIRE

Les manuscrits du xiiie siècle contiennent, parmi toutes les pièces lyriques qui ne relèvent pas des grands genres courtois, un certain nombre de chansons à boire. Celles-ci sont dans une large mesure la transposition en langue vulgaire des chansons goliardiques. Elles développent cependant quelques aspects propres au lyrisme roman. Plus souvent, en effet, que le simple éloge du vin ou de la cervoise, on trouve chez elles l'exaltation de la « bonne vie », c'est-à-dire de ripailles insouciantes et sans contrainte, l'hiver au coin d'un bon feu, l'été sur l'herbe et de préférence en galante compagnie. Dans ce dernier cas, la bonne chère n'est qu'un motif supplémentaire ajouté au thème de la rencontre amoureuse dans le locus amoenus (endroit agréable) qu'est le verger, le pré ou le bosquet printaniers. Ce motif semble particulièrement cher aux trouvères menant vie de jongleur et pour lesquels les bons morceaux sont aussi rares que les bonnes fortunes (Colin Muset). Parfois aussi se mêlent aux thèmes bachiques des éléments satiriques (satire des mauvais chevaliers, des vilains, des avares). Enfin, certaines de ces chansons sont des parodies en langue vulgaire de chansons pieuses latines. Conservées en petit nombre parce que le plus souvent elles n'ont sans doute pas été jugées dignes d'être notées, ces chansons ne font que transposer dans un registre quotidien et rustique le thème courtois de la vie somptueuse et voluptueuse, en décrivant ce qui leur semble le comble du luxe et de la volupté : la bonne chère.

Au xviie siècle, beaucoup de chansons à boire étaient en même temps des chansons à danser, d'où les titres de recueils, tels que Chansons pour danser et pour boire, publiés par Pierre et Robert Ballard (III)et souvent réédités de 1627 à 1667 (la plupart sont à une et deux voix). Différents auteurs figurent dans ces anthologies d'airs vocaux ; certains demeurent anonymes. Retenons cependant quelques noms illustres dans le genre : Bénigne de Bacilly (1625 env.-1690) en a écrit d'innombrables. C'est dans un de ses recueils, publié en 1661 chez Charles de Sercy, que l'on trouve la chanson de l'abbé Perrin, qui enthousiasme M. Jourdain, Je croyais Janeton ; Molière l'a choisie pour l'opposer à l'air de Lully Je languis jour et nuit ; ce recueil était présenté comme réunissant « les plus beaux vers qui ont esté mis en chant » (sic). Les Chansons à boire et à danser (1636 ; 1642) de Jean Boyer furent longtemps à la mode. Celles de Guillaume Michel, musicien attaché au service du cardinal Mazarin, ont paru entre 1636 et 1656. On peut suivre l'évolution de ce genre, parallèlement à celle des airs tendres, ariettes, bluettes, jusqu'à l'apparition de la romance, même si celle-ci est nettement d'origine bourgeoise et s'oppose à cette chanson populaire. D'autre part, il y eut aussi une floraison d'Airs sérieux et à boire, qui étaient écrits dans un langage plus savant, tels les trois livres de Jacques Cochereau (1680 env.-1734), celui d'André et de Joseph Campra et surtout ceux de Jean-Baptiste Drouard de Bousset (1662-1725), tenu pour être le meilleur compositeur de ce style quelque peu mineur.

— Daniel POIRION

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-Sorbonne

Classification

Autres références

  • AIR, musique

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    • 3 278 mots
    ...au moment où les opéras de Lully occupent une place prédominante dans la vie musicale. Il est alors progressivement remplacé par l'air dit « sérieux », ainsi nommé par opposition à l'air dit « à boire », car les chansons à boire se trouvent, elles aussi, promues à un rang musical élevé. Cette transformation...