CHANSON DE FEMMES
Les plus anciens poèmes lyriques en langue romane intégralement conservés sont les premières chansons courtoises des troubadours (début du xiie s.). Mais la poésie courtoise, expression d'une nouvelle doctrine de l'amour, subtile, agressivement aristocratique, n'a rien de populaire et n'est pas l'héritière directe de la poésie orale antérieure, sur l'existence de laquelle on possède des témoignages très anciens, indirects mais irréfutables (canons conciliaires, khardjas mozarabes). Quelques genres lyriques dont les spécimens connus sont tous postérieurs à l'apparition de la poésie courtoise, et donc influencés par elle, se rattachent cependant à cette tradition. Ces poèmes, bien que composés par des hommes, sont l'expression d'une subjectivité féminine ; l'amour y est éprouvé et chanté par une femme, d'où le nom de chansons de femmes. Aux xiie et xiiie siècles, trois types de chansons entrent dans cette catégorie, qui est la forme primitive universelle du lyrisme amoureux.
Les chansons de toile ou d'histoire furent ainsi nommées parce qu'elles étaient censées, au dire du romancier Jean Renart (xiiie s.) qui en cite plusieurs dans son Guillaume de Dole (vers 1225), être chantées par les dames en filant ou en cousant. Parce que leurs héroïnes se livrent à ces occupations, ce sont des pièces narratives qui adoptent la forme métrique (décasyllabes, laisses assonancées ou parfois rimées suivies toutefois d'un refrain) et, semble-t-il, mélodique de la chanson de geste. Ces chansons racontent les amours d'une jeune héroïne de haute naissance et d'un nonchalant séducteur. Leur raideur mélancolique les rend émouvantes. Leur archaïsme a parfois semblé excessif pour l'époque (début du xiiie s.) et les a fait soupçonner d'être des pastiches (E. Faral). Les chansons à danser remontent peut-être aux fêtes de mai marquant, par des journées de licence amoureuse, le retour du printemps (G. Paris). Les spécimens conservés, tous influencés par la poésie courtoise, sont à forme fixe (ballettes, rondeaux), avec alternance équilibrée entre un soliste et un chœur (strophe et refrain), et mettent en scène les danses champêtres de jeunes coquettes. Le thème de la mal-mariée qui se console ailleurs, souvent présent dans les chansons de danse, est développé dans de nombreuses chansons de rencontre amoureuse. Mais il devient vite une parodie de l'adultère courtois et les préjugés aristocratiques courtois l'accompagnent (mari vilain, influence du genre voisin de la pastourelle). Enfin, ces chansons sont souvent placées dans la bouche du séducteur, dont les vantardises gauloises couvrent bien vite la voix féminine douce et ardente, qui s'entend encore un peu plus tard dans les cantigas d'amigo gallego-portugaises avant de réapparaître dans la chanson populaire à la fin du Moyen Âge.
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Écrit par
- Daniel POIRION : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-Sorbonne
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