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CHANSON DE GESTE

Un débat qui reste ouvert

La philologie de Wolf, la mystique de Herder et des frères Grimm sont à la base des théories sur les origines populaires et la composition fragmentaire des épopées prétendument primitives. C'est le principe dont s'inspirent les recherches et les thèses de C. Fauriel, de G. Paris, de Léon Gautier. C'est en tablant sur ce principe qu'en 1884 un érudit italien, Pio Rajna, trouve dans les chroniques mérovingiennes les faits et les preuves des origines germaniques de l'épopée française ; c'est contre ce principe que, sur la fin du siècle, réagit vivement le savant allemand P. A. Becker, qui voit dans les chansons de geste les œuvres conscientes et cohérentes des poètes du xie siècle.

C'est le reflux. De 1908 à 1914 paraissent les Légendes épiques de Bédier, dont la finesse et la science se parent de quelques formules aussi séduisantes que célèbres. « Nos poètes n'ont pas combiné des événements historiques mais des thèmes poétiques » ; au surplus, le minimum d'histoire qu'ils connaissent, ils n'ont pu l'apprendre que dans les chartes qui se trouvent, avec légendes locales et reliques, dans les églises et les couvents que fréquentaient pèlerins, jongleurs et chevaliers. « Au commencement était la route jalonnée de sanctuaires » ; autour du sanctuaire c'est le « cercle » des jongleurs et des clercs, à savoir l'échange et le mélange des fables et des miettes historiques. Mais du moment qu'un « chef-d'œuvre commence à son auteur et finit à lui », Turold est l'auteur unique du Roland. Enfin, si personne ne parle des chants qui errent du viiie au xie siècle, c'est que ces chants n'existaient pas encore. Après quoi, Bédier se refuse à sortir du siècle qui fut le siècle créateur entre tous. Belle et en grande partie juste, sa théorie pâtit cependant des inévitables excès de tout système qui repose sur un axiome. Au fait, l'argument ex silentio ne prouve ni le pour ni le contre, la route est ouverte à tout venant, le cercle ne distingue pas l'avant de l'après. Surtout, il reste à expliquer le fait extraordinaire de ces poètes du xie siècle, qui se réveillent au xie seulement, pour visiter les sanctuaires et pour chanter des personnages qui, depuis trois siècles, dorment en chartes et tombeaux.

Le débat rebondit. Lot, le compagnon de Bédier, ramène sur la route l'antique ménestrel et cherche à faire remonter aussi haut que possible les sources du fleuve épique. Au contraire, un disciple de Bédier, Pauphilet, refuse routes et « racontars » et fait sortir la chanson de la tête d'un poète de génie, tandis qu'un historien, R. Fawtier, la fait renaître de la tête ignorante du peuple inspiré. Des érudits (Tavernier, Wilmotte, Curtius, Chiri) trouvent, dans la poésie latine et mediolatine, topoi, sources et technique de la chanson de geste. Le débat sévit. Une nouvelle vague amène à la surface l'ancienne théorie de la genèse lointaine, avec le phalanstère populaire et l'improvisation jongleresque (Menéndez Pidal, R. Louis, Rita Lejeune, Rychner).

Enfin des sceptiques, autrement appelés éclectiques, refusent et concilient les extrêmes. Le débat continue.

— Italo SICILIANO

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Écrit par

  • : recteur de l'université de Venise, docteur honoris causa de la Sorbonne et de l'université de Grenoble

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Chanson de geste - crédits : AKG-images

Chanson de geste

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