Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

CHANSON FRANÇAISE

La chanson réaliste

Une société d'auteurs, ancêtre de la S.A.C.E.M., est créée en 1851 : désormais, un auteur ou un musicien pourront gagner leur vie avec ce qui est devenu un travail. Le café-concert – le caf-conc' – établit le vedettariat. Il ne nous reste aucun enregistrement de Thérésa (Emma Valendon, 1837-1913) ou de Paulus (Jean-Paul Habens, 1845-1908), mais d'innombrables caricatures, photographies, mémoires, textes des plus grands littérateurs de l'époque les célèbrent. Les imitatrices de Thérésa, enregistrées, nous donnent cependant une idée du style de la créatrice de La Femme à barbe ou des Canards tyroliens. Entre-temps, le phonographe est né, qui nous restitue plus ou moins la présence des grands du caf-conc' 1900 : le rugissement puissant d'Aristide Bruant (1851-1925), la voix acérée d'Yvette Guilbert (1865-1944), le miel de Mayol (Félix Mayol, 1872-1941), le naturalisme d'Eugénie Buffet (1866-1934), la revendication mélodramatique de Montehus (Gaston Mardochée Brunschwig, 1872-1952). Mais un des plus grands poètes de la chanson d'alors, Gaston Couté (1880-1911), mourra sans léguer aucune trace de sa voix à la postérité, comme Maurice Rollinat (1846-1903), ami de George Sand. Notre mémoire est aussi la mémoire d'une censure.

À l'orée du xxe siècle, avec le développement des moyens de reproduction – phonographe et cinéma –, une révolution démarre depuis un tout petit espace, un cabaret de Montmartre : Le Chat noir, fondé en 1881 par le Viennois Rodolphe Salis. Une bande de poètes, de peintres, de musiciens, héritiers d'autres clubs non conformistes comme les Zutistes ou les Incohérents, investissent un cabaret situé au-dessus de Pigalle. En remettant au premier plan la poésie (ils se réclament de Baudelaire, de Verlaine, du Parnasse), qui s'étiolait sous les scies des comiques troupiers, ils régénèrent la chanson française avec leur haine du conformisme bourgeois, puis hélas ! deviennent des faiseurs comme les autres. À côté des chanteurs « à voix » s'imposent les « diseurs » – le plus souvent des « diseuses », comme Esther Lekain (Ernestine Nickel, 1870-1960), Anna Judic (Anne-Marie-Louise Damiens, 1849 ou 1850-1911) et Yvette Guilbert.

C'est à la charnière du xxe siècle que se constitue le genre dit « chanson réaliste ». On peut lui trouver plusieurs ancêtres, au premier plan desquels la complainte traditionnelle, qui raconte des faits-divers sanglants, et la chanson de prison en argot (dont Victor Hugo a fait des pastiches). Parmi ses influences figurent le roman naturaliste à la Zola, et son versant le plus antibourgeois, qui s'attache à la vie des « filles soumises », par exemple chez les frères Goncourt (Germinie Lacerteux, 1864) ou Joris-Karl Huysmans. Aristide Bruant a certainement lu ces œuvres, mais il est aussi allé se documenter sur place, hantant les bas-fonds, s'imprégnant des réelles « chansons de pègre » qu'on pouvait y entendre. Autant Bruant se complaît – avec génie – dans l'étalage de la misère, autant Jules Jouy (1855-1897), qui mourra fou, est un imprécateur, avec par exemple Fille d'ouvrier ou La Veuve (sur la guillotine) ; ses chansons ont mieux vieilli que le répertoire, alors très en faveur, des chantres de la revanche après la défaite de 1870, et la perte de l'Alsace-Lorraine.

Erik Satie tient le piano de Paulette Darty (Paulette Joséphine Combes, 1871-1939), « reine de la valse lente », créatrice de Fascination et de Je te veux. Paul Delmet (1862-1904) met en musique les romances de Maurice Boukay (Charles-Maurice Couyba, 1866-1931, dont Verlaine préface le recueil). Dranem (Armand Ménard, 1869-1935) hisse la chanson idiote jusqu'au pur génie (Les P'tis Pois, Pétronille, tu sens la menthe). Maurice Chevalier (1888-1972) débute sur scène[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Médias

Maurice Chevalier - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Maurice Chevalier

Mistinguett - crédits : Hulton-Deutsch Collection/ Corbis/ Getty Images

Mistinguett

Joséphine Baker - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Joséphine Baker

Autres références

  • ARRANGEURS DE LA CHANSON FRANÇAISE

    • Écrit par
    • 7 929 mots
    • 3 médias

    Si une chanson est au départ une subtile union de paroles écrites par un auteur et d’un air créé par un compositeur, c’est grâce à un accompagnement musical approprié, fruit du travail d’un arrangeur, qu’elle prend toute sa valeur auprès de son interprète.

    Arrangeurs ! Ce mot étonnant...

  • HIGELIN ARTHUR dit ARTHUR H (1966- )

    • Écrit par et
    • 1 183 mots
    • 1 média

    Saltimbanque de la chanson française qui jongle avec le jazz, le rock, l’électro et la pop, le chanteur et musicien Arthur H a su s’affranchir de l’héritage de son père, Jacques Higelin, pour imposer sa voix caverneuse et ses paroles empreintes de poésie surréaliste.

  • AZNAVOUR CHARLES (1924-2018)

    • Écrit par
    • 1 586 mots
    • 1 média

    Maurice Chevalier a dit de lui : « Il a osé chanter l'amour comme on le ressent, comme on le fait, comme on le souffre. » Pourtant le chemin fut long et difficile et, avant de connaître une gloire internationale, Charles Aznavour a bien failli subir l'échec définitif magnifiquement décrit dans « Je...

  • BAKER JOSÉPHINE (1906-1975)

    • Écrit par et
    • 1 155 mots
    • 4 médias
    À partir de 1927, Joséphine Baker se lance dans la chanson. Sa voix de soprano et son accent américain lui confèrent un charme particulier qui plaît à un large public. En 1930, elle connaît un succès retentissant avec sa chanson « J’ai deux amours » (paroles de Géo Koger et Henri Varna, musique...
  • BARBARA (1930-1997)

    • Écrit par
    • 2 850 mots
    • 2 médias

    L’auteure-compositrice et interprète Barbara est de ces artistes qui ont fait de la chanson l’apanage d’une poésie populaire capable d’effleurer les émotions juste avant qu’elles ne s’évanouissent. Cette œuvre – à moins qu’il ne s’agisse des marges d’une autofiction impossible – a révélé un...

  • Afficher les 93 références