THOMAS CHANTAL (1945- )
Une chambre de pensée
Face au désordre du monde et au « narcissisme des petites différences » (Freud), il convient plus que jamais de construire une chambre de pensée bien à soi, un refuge pour l’intimité. Entamé avec Cafés de la mémoire (2008), le récit autobiographique se poursuit avec Souvenirs de la marée basse (2017) qui revient sur l’enfance de la fillette à Arcachon, lieu de villégiature puis de retraite des grands-parents, que la mère rejoint avec mari et enfant.
Mais l’insouciance des vacances ne dure pas ; le silence paternel – dont elle fera le thème central de De sable et de neige (2021) – pèse tandis que la mère se disperse en anxiétés maladives. Devenue veuve, celle-ci quitte Arcachon pour Menton, autre enclave protégée. De son côté, Chantal Thomas part vivre à New York où elle enseigne le français dans une école pour businessmen qui n’ont ni le temps ni l’envie d’étudier. Mère et fille communiquent par cartes postales dans une mutuelle étrangeté, que le retour filial en France ne modifiera pas.
Contemplant les piliers rouillés de la jetée de son enfance, l’autobiographe avoue croire au temps et au passé, dans la mesure où ils lui donnent la chance de vivre le présent, ce riche scintillement du « tout de suite ».
Autre volet de cette autobiographie en fragments, East Village Blues, avec des photos d’Allen S. Weiss(2019) relate le voyage de Chantal Thomas à New York en 2017. Elle arpente l’East Village, où elle vécut dans les années 1970 : un quartier modeste devenu l’un des plus chers du marché immobilier. Déambulant dans les rues de la ville, elle revisite le territoire du passé et compose un récit romanesque, étayé de lectures des auteurs de la beat generation, Jack Kerouac, William Burroughs, Allen Ginsberg – autant de voix ténues, porteuses de « l’horreur de l’Amérique ». Un sentiment de liberté submerge la flâneuse qui se souvient des week-ends et des fêtes, plus habituée à la nuance et au non-dit français qu’à la violence de l’attaque frontale et corporelle des poètes qui déclament haut leurs écrits dans les rues venteuses, une liberté éprouvée encore lors de parties estivalessur les toits des immeubles, ou bien au Bonnie and Clyde’s, boîte de lesbiennes et de Noires politisées que hante Andy Warhol.
L’intensité de vivre est aussi ce plaisir de se sentir à la fois comblé par la beauté du monde et bouleversé par la certitude de sa disparition prochaine. Un fil tendu dans l’œuvre de Chantal Thomas.
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Écrit par
- Véronique HOTTE : critique de théâtre
Classification
Média