CHANTONS SOUS LA PLUIE, film de Stanley Donen et Gene Kelly
La comédie de l'éternelle jeunesse
Le plus célèbre classique musical de la M.G.M. est une accumulation de paradoxes : à part un bref pas de deux entre Gene Kelly et la belle Cyd Charisse, qui ne fait qu'une apparition, elle ne comporte en effet aucun duo de couples mémorables contrairement à Fred Astaire et Ginger Rogers dans les films R.K.O. des années 1930. Les clous de Chantons sous la pluie, toujours applaudis, sont, non le grand show de la fin Broadway Melody (où Gene Kelly danse dans de grands décors et entouré d'une vaste troupe), mais deux numéros masculins en solo : le numéro-titre chanté et dansé par Kelly sous un déluge de pluie – le héros, heureux d'être aimé de celle qu'il aime, exprime sa joie de vivre –, et le sketch burlesque et acrobatique Make'em laugh (« fais-les rire »), de Donald O'Connor, lorsque celui-ci veut remonter le moral de Don en lui donnant la recette du succès auprès des femmes. Debbie Reynolds, la jeune partenaire de Kelly, danse et chante à peine, mais elle est jolie et gracieuse, et porte à merveille le chapeau cloche et les cheveux courts « à la garçonne » des années 1920. De son côté, Cyd Charisse montre ses jambes dans un court numéro évoquant à la fois deux stars du muet, Pola Negri et Louise Brooks. N'oublions pas en effet que ce film de 1952 était, pour le public de l'époque, un défilé « rétro » de modes musicales et vestimentaires. Sous la contrainte de placer le maximum de chansons du tandem Freed-Brown, Betty Comden et Adolphe Green surent écrire un scénario merveilleusement enjoué et vivant, si gai qu'on en oublie qu'il reprend souvent le schéma du « film-revue », succession de numéros disparates. Par exemple, le grand ballet Broadway Melody est amené sous le prétexte le plus désinvolte (Don Lockwood raconte à son producteur un « finale » dont il a eu l'idée). Quant au numéro à trois, Good Morning, qui réunit Kathy, Don et Cosmo à la fin d'une nuit de travail, il est mémorable parce qu'ils déclarent leur joie au monde entier en disant « bonjour » aux spectateurs dans un grand nombre de langues. Tout comme dans La Mélodie du bonheur (The Sound of Music, 1965, de Robert Wise), lorsque les enfants de la famille Trapp chantent « Au revoir » en une demi-douzaine de langues.
La magie du film vient sans doute de ce qu'il réconcilie le chic esthétique et la perfection artistique des productions Arthur Freed avec un enjouement décontracté, alors que d'autres comédies musicales célèbres de cette prestigieuse série, comme Un Américain à Paris (An American in Paris, 1951, de Vincente Minnelli) croulent parfois sous la beauté du décor. Le numéro de Donald O'Connor fut d'ailleurs réellement improvisé, au fur et à mesure, par le fantaisiste.
Le film, très documenté sur les débuts du parlant, contribua cependant à propager une image dérisoire et injustement ridicule du muet finissant et du parlant débutant. En même temps, il pose avec pertinence la question toujours actuelle du doublage et du rapport voix-corps, qui au cinéma, est toujours problématique.
Un autre thème de Chantons sous la pluie est la célébration du cinéma populaire : les films de Don et Lina sont censés être des amusements sans ambition artistique, mais qui apportent du rêve et de la joie au public. Au début, la jeune Kathy affecte de les mépriser, avant de concéder qu'elle les voit tous. Le solo chanté et dansé sous la pluie (tourné en studio) replonge le public dans des joies enfantines. « Pour m'aider, raconte Kelly, je pensais au plaisir que les enfants ont de jouer dans les flaques d'eau et décidais de redevenir un gamin pendant le numéro. » C'est cette innocence qui assure au numéro la même éternelle jeunesse, de sorte que tout naturellement, lorsque Stanley Kubrick voulut éveiller chez[...]
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Écrit par
- Michel CHION : écrivain, compositeur, réalisateur, maître de conférences émérite à l'université de Paris-III
Classification
Média
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