CHAOS, physique
Où trouver la sensibilité aux conditions initiales ?
La propriété de sensibilité aux conditions initiales (S.C.I.) avait déjà été pressentie vers 1875 par James Clerk Maxwell, puis par Henri Poincaré. Ensuite, le météorologiste, Edward Lorenz, étudiant les solutions d'un ensemble de trois équations différentielles ordinaires, qui représentaient un modèle très simplifié des écoulements dans l'atmosphère, remarqua que, en partant de conditions initiales légèrement différentes (et pour certaines valeurs des constantes, voir les équations ci-dessous), il obtenait des solutions tout à fait dissemblables au bout d'un même temps d'évolution. Et, pourtant, quoi de plus déterministe que ces équations :
dans lesquelles X, Y, Z représentent les trois variables du modèle et t le temps ?Les raisons de ce comportement, à première vue incompréhensible, ont été analysées et expliquées pour la première fois par David Ruelle et Floris Takens ; en effet, ils ont montré en 1971 que la dépendance S.C.I., donc un comportement chaotique, pouvait apparaître dans un système dynamique ayant au minimum trois fréquences indépendantes (ce qui revenait à dire trois variables ou trois degrés de liberté), et dont les non-linéarités sont suffisantes.
De fait, le nombre minimal de degrés de liberté nécessaires pour que le chaos puisse apparaître peut être déduit de considérations topologiques se rapportant aux trajectoires dynamiques dans l'espace des phases (ou espace dont les coordonnées sont les variables dynamiques indépendantes du système). La trajectoire dans cet espace est le lieu des points correspondant aux valeurs prises par les variables à chaque instant. Ainsi l'espace des phases relatif au mouvement du pendule est un plan dont les coordonnées (variables) sont la position et la vitesse et dans lequel la trajectoire dynamique est une boucle fermée.
La propriété de S.C.I. se traduit par la divergence des trajectoires dans l'espace des phases. Or, dans un espace à deux dimensions, cette divergence entraînerait soit l'extension des trajectoires à l'infini, soit leur recoupement (ce qui ne peut avoir lieu, dans le premier cas, parce que les valeurs prises par les variables restent bornées et, dans le second cas, parce que la nature déterministe du phénomène interdit que les trajectoires se croisent). Il faut donc au minimum un espace de variables à trois dimensions pour que les trajectoires puissent diverger sans exploser à l'infini ou se couper. Assimilant le nombre de variables indépendantes à celui du nombre de degrés de liberté, on arrive à la conclusion qu'un système dynamique non linéaire ayant au minimum trois degrés de liberté peut devenir chaotique. L'exemple le plus simple est celui du pendule ou de l'oscillateur forcé par un « champ » périodique extérieur.
Imaginons, en effet, un pendule non linéaire entretenu en oscillation à sa fréquence propre f1 ; c'est un système à deux degrés de liberté : position et vitesse. S'il reste isolé, il ne peut devenir chaotique. Influençons son mouvement de manière périodique, par exemple en soumettant son axe à une oscillation de fréquence f2. Le système devient bipériodique (on dit aussi quasi périodique) mais, surtout, il a acquis un troisième degré de liberté : la phase de l'oscillation extérieure. C'est un fait que le système peut, maintenant, devenir chaotique et, en effet, pour certaines valeurs de l'amplitude du forçage extérieur, des mouvements désordonnés apparaissent.
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Écrit par
- Pierre BERGÉ : directeur du département de recherche sur l'état condensé atomes et molécules (D.R.E.C.A.M.) au Commissariat à l'énergie atomique, Saclay
- Monique DUBOIS : physicienne au Commissariat à l'énergie atomique, chef du laboratoire de diffusion de la lumière au service de physique du solide et résonance magnétique à Saclay
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