BALADIER CHARLES (1923-2016)
Né en 1923 à Vitry-sur-Loire (Saône-et-Loire), Charles Baladier est issu d’une très ancienne famille de vignerons bourbonnais qui franchit la Loire pour s’implanter en Bourgogne au début du xixe siècle. Il se forme à Paray-le-Monial, haut lieu du catholicisme, passe par le petit puis le grand séminaire. En 1953, il obtient, à l’Angelicum de Rome, un doctorat de théologie avec une thèse sur les traités de la charité chez les maîtres parisiens du début du xiiie siècle, intitulée L’Essence de la charité d’après Guillaume d’Auxerre. Étude comparative avec quelques théologiens contemporains. De 1953 à 1969, il enseigne la philosophie aux grands séminaires d’Autun et de Viviers, avant d’intégrer les collèges parisiens Stanislas et Saint-Sulpice.
Prêtre sulpicien un temps en charge du catéchuménat des adultes, Charles Baladier fréquente parallèlement l’université publique pour acquérir une licence de philosophie et une maîtrise de psychologie. À la Ve section (sciences religieuses) de l’École pratique des hautes études, il suit successivement les enseignements en philosophie médiévale de Paul Vignaux, Jean Jolivet, et plus tard Alain de Libera. Comme d’autres théologiens ou clercs philosophes de sa génération – entre autres, Edmond Ortigues et François Roustang –, il quitte l’Église dans le contexte des ouvertures déçues qui marquent le concile Vatican II (1962-1965).
Charles Baladier va alors intégrer l’équipe de l’EncyclopædiaUniversalis pour y conduire une longue et brillante carrière de 1969 à 1990. En charge des départements de philosophie, anthropologie, psychologie, psychanalyse et sciences de l’éducation, il porte à son terme la première édition (à partir de la lettre C, comme « Culpabilité », article qu’il rédige), et mène à bien la deuxième, veillant à l’équilibre général des contributions, la qualité des auteurs, l’attention vigilante dans le traitement des questions abordées. Avec l’empathie discrète qui fut toujours sa marque dans un monde intellectuel traversé d’appétences égotistes souvent opposées, il attire les plus belles intelligences et les plus fines plumes. En fin de carrière, ses compétences dans le domaine des religions lui permettent de mettre en œuvre Le Grand Atlas Universalis des religions (1988).
Après 1990, Charles Baladier poursuit comme conseiller ses aventures éditoriales : chez Larousse, dans le domaine des religions et des mythologies, mais aussi, au côté de Barbara Cassin, pour l’élaboration du Vocabulaire européen des philosophies (2004). Pour celui qui a longtemps fait écrire les autres, se limitant lui-même à une production d’articles, certes abondante, le temps des livres arrive. Avec Érôs au Moyen Âge. Amour, désir et « delectatio morosa » (1999) et Aventure et discours dans l’amour courtois (2010), il peut enfin conjoindre les deux axes d’une réflexion longuement mûrie depuis les années 1950 : la psychologie morale de traditionscolastique et les sciences psychologiques formalisées aux xixe et xxe siècles. Charles Baladier, qui a été membre de l’École freudienne de Paris, puis de la Société de psychanalyse freudienne, qui a longtemps œuvré au comité de rédaction des revues Esquisses psychanalytiques et Sigila, qui a rédigé de nombreux articles et des contributions marquantes dans des collectifs analytiques (ainsi dans L’Apport freudien. Éléments pour une encyclopédie de la psychanalyse, sous la direction de Pierre Kaufmann, 1993), parvient dans ces deux livres à montrer la lente sédimentation culturelle qui a permis à la notion d’intériorité d’émerger dans la modernité scientifique et littéraire occidentale. À l’examen de la « délectation morose », c’est-à-dire des mille et une manières raffinées de différer, au cœur de la conception du désir dans les arts d’aimer du Moyen Âge, il a ouvert des voies fécondes à la[...]
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Écrit par
- Dominique IOGNA-PRAT : directeur de recherche au CNRS, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
Classification
Autres références
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KAUFMANN PIERRE (1916-1995)
- Écrit par Bernard VALADE
- 1 086 mots
Élève de l'École normale supérieure à la fin des années 1930, écarté du concours par le régime de Vichy, Pierre Kaufmann passa l'agrégation de philosophie dès la fin du conflit. De son action, qui lui valut la croix de guerre, dans les combats de 1940 comme de son engagement dans...