BAUDELAIRE CHARLES (1821-1867)
Genèse et évolution des « Fleurs du mal »
À la date de 1853 ont déjà éclos quelques-unes des « fleurs du mal », en tout cas des poèmes, parfois précoces, qui seront insérés dans le recueil de 1857. « À une dame créole », sans doute le poème le plus ancien, a paru dès le 25 mai 1845 dans le journalL'Artiste ; il deviendra la pièce LIV des Fleurs du mal dans la première édition. « Don Juan aux enfers » paraît le 8 septembre 1846 dans le même journal, sous le titre « L'Impénitent ». Il deviendra la pièce XV dans chacune des éditions des Fleurs du mal. Au total, le recueil de 1857 ne contient que 57 pièces nouvelles sur les cent qui le constituent. Il est composé de cinq sections (« Spleen et idéal », « Fleurs du mal », « Révolte », « Le Vin » et « La Mort »).
Plusieurs titres, correspondant à divers états du projet, ont précédé le titre définitif, qui fut suggéré, dit-on, par Hippolyte Babou : Les Lesbiennes, dont il reste au moins trois morceaux, Les Limbes (onze sonnets, en 1851, dans Le Messager de l'Assemblée), qui rappellent le début de l'Inferno de Dante. Il est plus important d'assister à ce véritable acte de naissance que constitue la publication le 1er juin 1855, dans la Revue des Deux Mondes (à laquelle Alfred de Musset avait tant donné), de dix-huit poèmes déjà regroupés sous le titre Les Fleurs du mal. Par la suite, Baudelaire persiste et signe : pour la première édition de 1857, pour l'édition autorisée de 1861 (126 poèmes), pour les Nouvelles Fleurs du mal (seize poèmes publiés en 1866 dans Le Parnasse contemporain), pour la troisième édition à laquelle la maladie et la mort l'empêcheront de donner sa forme définitive (ce sera l'édition posthume publiée chez Michel Lévy, qui contient 151 poèmes). Ces Fleurs du mal sont des « fleurs maladives », selon l'interprétation qu'il suggère lui-même dans la dédicace à Théophile Gautier. Mais plus encore elles naissent du gouffre, de l'enfer, de ce qui peut être le plus hideux et le plus repoussant. D'où la section intitulée seulement « Fleurs du mal », placée en abyme dès l'édition de 1857, puis repoussée en quatrième position en 1861, tandis qu'une nouvelle section « Tableaux parisiens » vient succéder à « Spleen et idéal ». Elle amplifie la modernité du recueil en mettant l'accent sur l'imaginaire de la ville.
Baudelaire n'a cessé d'ajouter, et en particulier les pièces admirables qu'il a conçues à Honfleur en 1859, lors de brefs et rares séjours dans la maison qu'y avait fait aménager feu le général Aupick, la Maison-Joujou : « La Chevelure », en particulier, et « Le Voyage », le poème le plus long, celui par lequel s'achèvera l'édition autorisée de 1861, ouvrant sur la mort et sur l'inconnu dont elle réserve peut-être la découverte. Il n'a cessé non plus de retrancher : non seulement les pièces condamnées par la censure impériale et appelées à devenir Les Épaves, dans une plaquette composite publiée à Bruxelles en 1866, mais les poèmes qu'il a choisis lui-même d'éliminer au fur et à mesure, en raison de sa très grande exigence d'artiste. Il lui arrive même d'avoir peur de ce qui naît de sa plume, comme si c'était monstrueux. Comme la mère, dans « Bénédiction », est épouvantée à la naissance de son enfant, « cette dérision », « ce monstre rabougri », « cet arbre misérable » qui a poussé en elle comme un arbre maudit, il recule devant ce qui sort de son imagination et de sa plume. Rien n'est plus révélateur, rien n'est plus étonnant à cet égard que la lettre qu'il adresse à sa mère le 9 juillet 1857, où il lui annonce la publication de ses poésies, Les Fleurs du mal, et où il présente le livre comme «[...]
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Écrit par
- Pierre BRUNEL : professeur émérite de littérature comparée à l'université de Paris-Sorbonne, membre de l'Académie des sciences morales et politiques
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