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BOVELLES CHARLES DE (1478-1567)

Naître à Saint-Quentin dans une vieille famille picarde, grandir sous la protection de François et Charles de Hallewin, évêques d'Amiens et de Noyon, être l'élève de Jacques Lefèvre d'Étaples au collège du Cardinal-Lemoine avant d'en devenir l'un des maîtres, vivre dans le commerce des Champier, Clichtove, Budé, Bérauld, Boucher et autres humanistes, courir l'Europe des spirituels, des mystiques, des bibliothécaires et des imprimeurs à la poursuite de ce que recèlent les archives de Josse Bade, d'Alde Manuce et de Plantin, le « scriptorium » de l'abbé Trithème, les cloîtres majorquins où se cachent les inédits de Lulle, telle est la formation reçue par Charles de Bovelles, avant qu'il n'entre en religion pour se fixer en 1515 à Noyon, dans quelque demeure canoniale proche de la cathédrale. Cette date marque un tournant dans une vie vouée désormais à l'étude, féconde de trente-quatre ouvrages ou recueils d'opuscules philosophiques, théologiques, mystiques, mathématiques, linguistiques, voire poétiques. Les cinquante-deux ans qu'il reste à vivre à Bovelles le verront abandonner toute pérégrination, comme si la dispersion du cercle de Meaux, la censure dont font l'objet Briçonnet, Lefèvre et Farel, la montée des passions partisanes et de l'intolérance avaient conduit notre méditatif à infléchir sa quête de vérité en voyage intérieur.

Ce cheminement suit le transit de la lumière qui émane de sa source divine pour engendrer, selon des degrés de clarté qui sont des degrés d'être, toutes les natures et faire retour à cette origine. L'homme justement, miroir de l'univers et image de Dieu, est le point de rebroussement de ce mouvement, l'être en qui l'inflexion du rayon lumineux permet la conversion de toutes natures en leur principe. L'âme humaine s'en va errer de par le monde pour butiner en chaque chose les espèces qui s'y cachent, « mendiant auprès de la nuit pour en faire sourdre la lumière, auprès de la puissance pour en obtenir l'acte, auprès du principe pour en dégager la fin, auprès de la force en germe pour en tirer l'œuvre, auprès de la nature pour en faire sortir l'intelligence, auprès du commencement pour en tirer l'achèvement, auprès de la partie pour en extraire le tout, auprès de la semence pour en cueillir le fruit » (Le Livre du sage, chap. viii). Cette alchimie s'effectue à la faveur d'une conversion des sensibles en intelligibles, quand passant au pertuis de l'esprit les espèces quittent l'état de substance pour celui de la relation, le mode de la proprietas pour celui de la communitas (L'Art des opposés, chap. vii).

Le transit de la lumière fait précisément du voyage de l'âme le symbole d'une dialectique gnoséologique. Nulle chose n'est en l'entendement comme elle est dans la nature : selon celle-ci, chaque chose, enclose en son lieu qui est le gage de son identité, retranchée en une différence indifférente à ses voisines, demeure sans rapport avec toute autre que soi ; selon l'entendement, désigné comme le « lieu de nulle chose » (Le Livre du sage, chap. xxvi), toute différence devient opposition, toute opposition contrariété, chaque chose ne se définissant plus que dans ses rapports aux autres. Ce statut propre de l'entendement réinterprète la récapitulation mentale comme activité synthétique de la pensée et permet à Bovelles de distinguer deux niveaux dans le savoir : physique, celui-ci définit les natures en leurs propriétés ; métaphysique, il met en évidence les relations entre les choses et leurs différences respectives. Si la physique a pour objet la chose en elle-même, la métaphysique se soucie de la relation non de la substance, de l'altérité non de l'identité, de l'opposition non de la ressemblance,[...]

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