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BROSSES CHARLES DE (1709-1777)

Un libertin fort érudit

Il avait pourtant écrit, mais on n'avait pas encore publié, ses Lettres familières sur l'Italie, révélées en 1799, souvent réimprimées depuis lors, notamment par Romain Colomb en 1836 ; elles ne seront vraiment éclairées qu'en 1930, dans l'édition procurée par Mlle Yvonne Bézard. Jusqu'alors, on répétait qu'il s'agissait de lettres familières, griffonnées à l'étape en Italie, adressées aux bons amis dijonnais, tous gens de qualité et probablement libertins, c'est-à-dire « philosophes » : le président Bouhier, la présidente de Bourgogne, Buffon, l'abbé Cortois de Quincey, M. de Blancey, etc.

Or voici que nous découvrons, sans trop de surprise quand nous savons lire, que sept lettres seulement furent expédiées à M. de Blancey, deux à M. de Neuilly, et que toutes les autres furent composées, méditées, mijotées en France entre 1745 et 1755 par un homme qui ne les destinait surtout pas au public. Le peu qu'on en avait divulgué entre amis n'avait que trop fait jaser, car ce diable de président ne manquait ni d'esprit, ni de sensualité, ni, cette fois, pour aggraver le cas, de ce style précisément qui lui faisait ailleurs défaut. Alors que son érudition le rendait illisible, avouait-il enfin ses désirs, ses sentiments, sa pensée, la plume d'oie proliférant en ailes de Pégase ? Y aurait-il donc en lettres une justice ?

Faussement familières, par conséquent, les lettres d'Italie ; mais aussi délectables et plus que si vraiment elles s'abandonnaient. C'est qu'elles ne ménagent rien, ni personne : ni le « nez en gobille » de la reine de Naples, ni la niaiserie de son royal époux, ni les désirs de sainte Catherine de Sienne, ni le prétendu miracle du saint Janvier de Naples, ni le décolleté plongeant des nonnes vénitiennes, ni le site de Pavie, ni les « coïonneries » des cardinaux, ni les intrigues du conclave, ni la sotte prétention des Français, qui préfèrent toujours leurs mœurs à celles des autres nations, ni même la hernie du pape (ici la « philosophie » confine à la cruauté, car le pape cache un homme, une pauvre guenille).

L'œil vif, l'ouïe fine, l'attention toujours vigilante et cynique, il court la poste, le guilledou, les poissons de choix, les filles de joie, et jusqu'aux boiteuses – à cause du dicton, et de Montaigne. Il aime en Italie une facilité de mœurs dont on ne se scandalise pas plus que de toute « opération naturelle ». Fort à son aise, on le conçoit, chez les putes vénitiennes, où Jean-Jacques Rousseau fera très bien faillite.

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur honoraire à l'université de Paris-IV

Classification

Autres références

  • PACIFIQUE HISTOIRE DE L'OCÉAN

    • Écrit par
    • 7 286 mots
    • 20 médias
    ...géographique comme bien d'autres. Le meilleur exemple français de cet appétit de savoir est certainement l'ouvrage du président du Parlement de Dijon, Charles de Brosses, Histoire des navigations aux Terres australes (1756), un bilan des connaissances sur le Pacifique à la veille des premiers grands voyages...