GAULLE CHARLES DE (1890-1970)
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L'empreinte qu'il aura laissée sur l'histoire de son temps, le caractère à la fois tragique et décisif de ses interventions dans la vie du pays, l'originalité exubérante de son personnage, l'ampleur de ses vues, les talents d'orateur, d'artiste et d'écrivain qu'il aura déployés pour les faire prévaloir, font sans doute de Charles de Gaulle le Français capital du xxe siècle.
De quelque façon que l'on juge la décision prise le 18 juin 1940 par ce général de brigade à titre temporaire, son comportement avec ses alliés, ses rapports avec la résistance intérieure, la politique menée à la Libération, son départ brusqué en janvier 1946, la création du Rassemblement du peuple français, les conditions de son retour en 1958 et de l'émancipation de l'Algérie, le caractère donné au régime de la Ve République et sa conception de la « grandeur », – on ne saurait nier que le général de Gaulle aura orienté un tiers de siècle de l'histoire de France, rendu à ce pays brisé par l'invasion nazie une espérance dont il ne dépendit pas de lui qu'elle fût plus créatrice et conféré à sa patrie, pendant dix ans, un poids dans les affaires du monde qui excédait manifestement les réalités matérielles de l'époque.
Les années de formation
C'est dans le milieu le plus traditionaliste et même le plus conservateur que Charles André Marie Joseph, troisième des cinq enfants d'Henri et de Jeanne de Gaulle, est né à Lille le 22 novembre 1890.
Du côté paternel, la famille issue de la petite noblesse normande (d'épée) et bourguignonne (de robe) était parisienne depuis plus d'un siècle. Du côté maternel, les Maillot étaient d'assez importants industriels (dentelles et tabac) du Nord, alliés à des familles irlandaise et badoise. De part et d'autre, on vénère le trône, l'autel et la patrie. De part et d'autre aussi, on a beaucoup écrit et publié – surtout la grand-mère de Charles, Joséphine.
Henri de Gaulle, père du futur général, professeur d'école libre, enseignant de vaste culture et de grande distinction, dévot et patriote (mais qui a refusé de se laisser entraîner dans la campagne contre Dreyfus), joue un rôle capital dans la formation de son fils – qu'il confie aux jésuites – et probablement dans sa vocation militaire, déclarée dès la quatorzième année. Admis en octobre 1908 à Saint-Cyr d'où il sort avec le numéro 13, affecté au 33e R.I. d'Arras où il a pour chef le colonel Philippe Pétain. Charles de Gaulle est lieutenant quand éclate la guerre. Il affronte très vite l'épreuve du feu : le 15 août 1914, il est blessé sur la Meuse, à Dinant (Belgique).
De nouveau atteint dix mois plus tard en Champagne, promu capitaine, il est envoyé à Verdun en février 1916 : c'est là qu'il sera le plus grièvement blessé, devant le fort de Douaumont, le 2 mars. Fait prisonnier, il est dirigé tour à tour sur les camps de représailles de Szuchzyn, Ingoldstadt, Rosenberg et Wülzbourg, tentant cinq fois de s'évader et toujours repris, vouant à l'étude ses longs mois de captivité et prononçant de nombreuses conférences devant ses camarades.
Il émerge de la guerre humilié de cette longue inaction et impatient de se « racheter ». Il en trouve l'occasion en Pologne ; menacé par l'Armée rouge, le nouvel État fait appel à des instructeurs français. C'est au retour des quelque vingt mois qu'il passe à l'école militaire de Rambertow puis à l'état-major de Varsovie que le capitaine de Gaulle rencontre et épouse (le 7 avril 1921) Yvonne Vendroux, fille d'industriels de Calais. Il enseigne alors l'histoire à Saint-Cyr, y manifestant des dons éclatants de pédagogue.
Il sera moins heureux à l'École de guerre, où les idées qu'il affiche et ose soutenir face à un corps professoral verrouillé dans l'esprit de conservation lui valent des notes relativement médiocres. Il n'est pas admis dans le premier tiers des candidats où sont recrutés les futurs enseignants de l'école. Confiné dans un emploi médiocre à l'état-major de Mayence, il en est tiré par une décision de son ancien colonel d'Arras devenu le maréchal Pétain, chef alors prestigieux entre tous, qui l'appelle en 1925 à son cabinet comme officier rédacteur, chargé d'écrire une histoire du soldat français. L'avenir du capitaine de Gaulle, dans la mouvance du tout-puissant « patron » de l'armée française, paraît soudain assuré. D'autant que Pétain, affichant avec éclat sa protection, impose au commandant de l'École de guerre d'organiser en 1927 trois conférences de Charles de Gaulle sur la philosophie de la guerre. Mais un différend sépare le maréchal du capitaine à propos de la paternité du texte que de Gaulle a reçu mission d'écrire.
Le maréchal obtient encore un beau commandement pour son « protégé », celui du 19e bataillon de chasseurs à Trèves, mais le charme est rompu : de Gaulle, en disgrâce dans la « maison Pétain », ne peut obtenir la chaire d'enseignement qu'il brigue à l'École de guerre. Faute de quoi il doit partir pour le Liban où il devient de 1929 à 1931 chef des 2e et 3e bureaux de l'état-major – poste d'observation et d'étude où il acquiert une expérience de l'Orient qui ne lui sera pas, dans l'avenir, inutile.
Dès son retour à Paris, il est affecté au secrétariat général de la Défense nationale, où il va pendant près de six ans participer à tous les débats à propos de la refonte de l'armée française, aux côtés des plus grands chefs et des hommes politiques responsables : formation incomparable en vue du rôle politico-stratégique qu'il lui faudra remplir à partir de 1940. Il trouve alors l'occasion de publier ses deux ouvrages les plus célèbres, Le Fil de l'épée, version rénovée de ses conférences de 1927, dans lequel il trace un autoportrait du chef, et Vers l'armée de métier, où il plaide pour la refonte totale de la stratégie française et la création d'unités de « moteurs cuirassés » aptes à la surprise et à la rupture, confiées à 100 000 professionnels.
La campagne qu'il mène, dans la presse et au Parlement (avec l'appui notamment de Paul Reynaud, à droite, et de Philippe Serre, à gauche), ne reste pas sans écho et contribue aux quelques progrès faits de 1933 à 1939 dans l'équipement de l'armée française en blindés, mais aggrave la méfiance qu'il suscite dans les milieux militaires, et fait de lui la cible de campagnes virulentes menées dans l'entourage des trois principaux personnages de l'armée, Pétain, Weygand et Gamelin.
Avocat du « char papier », on lui donne tout de même en 1937 l'occasion de s'affirmer à la tête d'une grande unité de « chars acier », le 507e régiment basé à Metz – où, affublé du sobriquet de « colonel Motor », il réussira encore à s'aliéner un autre chef prestigieux, le général Giraud, gouverneur militaire de la ville, adversaire déterminé de l'emploi autonome des chars tel que le préconise de Gaulle. C'est alors que paraît La France et son armée, où il reprend de larges extraits de l'histoire du « Soldat » écrite en 1925-1927 sous l'égide du maréchal Pétain, ouvrage dont la publication achève d'affirmer sa réputation d'écrivain mais approfondit le différend qui l'oppose au maréchal.
Le 3 septembre 1939, il se retrouve commandant des unités de chars de la ve armée, en Alsace. C'est de là qu'en janvier 1940 il adresse à 80 personnalités civiles et militaires un mémorandum intitulé L'Avènement de la force mécanique qui est, en pleine guerre, un réquisitoire véhément dressé par un simple colonel contre la stratégie définie par le grand état-major. En un sens, on pourrait dire que le 18 juin 40 est à demi formulé cinq mois avant le désastre.
La percée allemande sur Sedan, le 10 mai 1940, détermine l'état-major à lui confier, alors qu'il n'est toujours que colonel, le commandement de la 4e division cuirassée (en voie de formation). Dès le 17, avec les éléments épars dont il dispose, il décide d'attaquer de flanc les colonnes blindées allemandes qui ont crevé les défenses des Ardennes et de la Meuse et foncent sur Laon. C'est sur l'axe de Montcornet et sur les ponts de la Serre que le colonel de Gaulle affronte et fait plier pour un temps le 19e corps blindé du général Guderian, donnant la preuve que, passant du « char papier » au « char acier », il peut faire, de ses anticipations de 1934, des actions bien réelles, et que le théoricien est apte à se muer en praticien efficace. Devant Abbeville, dix jours plus tard, il réitère cette démonstration d'homme de pensée soumis à l'épreuve du feu.
Le 5 juin, Charles de Gaulle, nommé général à titre temporaire quatre jours plus tôt, est appelé à Paris par Paul Reynaud (président du conseil depuis le 23 mars), qui lui offre le sous-secrétariat à la Défense dans le gouvernement très concentré (12 ministres) dont il garde la direction. De Gaulle, qui vient de vivre la débâcle avec une horreur indignée (« La guerre commence infiniment mal... Ce que j'ai pu faire par la suite, c'est là que je l'ai résolu »), sait que la bataille de France est perdue, et se l'entend confirmer par le général Weygand, le nouveau commandant en chef. Mais il sait aussi que la bataille du monde ne fait que commencer. Et il la livrera désormais non plus comme le meilleur technicien d'une armée en déroute, mais comme membre du gouvernement d'un pays qui a d'autres composantes que la militaire et dispose d'autres espaces que ceux où s'accomplit sa défaite. De ce 5 juin date son entrée dans l'ordre politique, celui de la décision. Deuxième date capitale après celle du mémorandum de janvier.
C'est en tant que membre du gouvernement dont il est, après Reynaud et Mandel, le seul homme debout, qu'il va, de la Seine à la Loire et à la Gironde, suivre le calvaire du pouvoir, faire par deux fois le voyage à Londres pour y réclamer un accroissement de l'aide anglaise, et plaider pour le surprenant projet de fusion des deux empires qu'ont inventé Jean Monnet et Robert Vansittart et que Churchill et Reynaud approuvent. Cependant, le 16 juin, à Bordeaux, le cabinet Reynaud cède la place au gouvernement Pétain-Laval qui ne cache pas son intention de rechercher au plus tôt l' armistice, se prévalant d'une autorisation prétendument accordée par Londres à ses alliés.
Alors le 17, en fin de matinée, Charles de Gaulle, général à titre temporaire, s'envole pour Londres avec l'encouragement de Reynaud et de Mandel, dans l'avion britannique de Sir Edward Spears. Il sait que les ponts sont rompus avec la France officielle et que ce qu'il va déclencher là-bas est une rébellion. Croit-il alors n'agir que comme précurseur, espérant attirer en Grande-Bretagne quelques grands chefs civils et militaires, il se réserve en tout cas le rôle de levain de la pâte.
Le 18 juin 1940, vers 20 heures, devant le micro de la B.B.C., Charles de Gaulle proclame que « la flamme de la résistance française ne doit pas s'éteindre et ne s'éteindra pas ». Tandis que « s'envolent les mots irrévocables », est-il jeté « d'un coup hors de toutes les séries », comme il l'a écrit dans ses mémoires ? Oui et non. Oui, car il assume pleinement et va devoir porter seul, au plus fort de la tempête qui secoue l'Europe et le monde, le poids de la France, « homme au bord de l'océan qu'il prétendait traverser à la nage ».
Non, parce que la dissidence où il entre, il s'y est longtemps préparé, on dirait presque installé. Dressé contre ses instructeurs de l'École supérieure de guerre ; face à Pétain, lui réclamant la paternité d'un texte écrit dans le cadre de ses fonctions d'état-major ; tentant d'imposer aux théoriciens les plus illustres ses vues révolutionnaires sur la stratégie des chars et la professionnalisation de l'armée ; et, en pleine guerre, lançant contre le haut état-major ce brûlot qu'est le « mémorandum » de janvier 1940, il est vraiment un rebelle-né, homme supérieur qui se dit tel et ne s'encombre d'aucune hiérarchie, se croyant assez puissamment accordé à l'intérêt national pour trouver à chacun de ses gestes les justifications d'une mystérieuse légitimité.
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Écrit par
- Jean LACOUTURE : journaliste, écrivain
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