GAULLE CHARLES DE (1890-1970)
De Londres à Paris
Des mois durant, il est Charles-le-Seul, dans ce Londres d'où partent plus d'officiels français qu'il n'y en arrive. La destruction de la flotte française mouillée dans la rade de Mers el-Kébir, le 3 juillet, bien que de Gaulle ait su exprimer dignement « la douleur et la colère » du peuple français, accroît encore les amertumes et les méfiances. Il faudra bâtir la France libre avec des capitaines inconnus et des journalistes aventureux. Il le fait. Dès le 28 juin et plus solennellement le 7 août, Churchill le reconnaît comme « chef des Français libres ».
Mais il lui faut de la terre « française » sous les pieds. Il décide de rallier Dakar, capitale de l'A.O.F. Churchill se prête à l'entreprise et met à sa disposition une petite escadre. Cependant, le 23 septembre, la garnison de Dakar tire sur la flotte franco-britannique. Échec cruel, qui ne ruine pas les relations entre de Gaulle et ses hôtes, mais dissipe le peu de crédit qu'avait à Washington l'homme du 18 juin.
Tout de même l'A.E.F. (Fort-Lamy, Douala et Brazzaville – où de Gaulle crée le Conseil de défense de l'Empire), Tahiti, la Nouvelle-Calédonie et les comptoirs de l'Inde se rallient dès le premier été. S'il est toujours Charles-le-Seul – bien qu'il dispose bientôt d'un état-major politico-militaire brillant : le général Catroux, l'amiral Muselier, René Pleven, le professeur René Cassin, Pierre-Olivier Lapie, Maurice Schumann, Louis Vallon et le capitaine André Dewavrin, dit Passy –, de Gaulle, condamné à mort par le tribunal militaire de Clermont-Ferrand le 2 août 1940, est de moins en moins Charles sans Terre.
Si la maigreur des forces militaires dont il dispose ne lui permet encore de porter à l'ennemi que des coups mineurs (jusqu'à la bataille de Bir-Hakeim, en 1942), le général de Gaulle met le plus clair de son génie à interdire à ses alliés, Anglais et Américains, de traiter la France libre en légion étrangère et de profiter de sa faiblesse pour empiéter sur les intérêts et positions de la France dans le monde.
Les deux manifestations les plus voyantes de cette guerre dans la guerre se situent au printemps 1941 au Levant, en décembre 1941 à Saint-Pierre-et-Miquelon. L'amiral Darlan, chef de gouvernement de Vichy, ayant, après une entrevue avec Hitler, mis les aéroports de Syrie à la disposition de l'aviation nazie, le 10 mai 1941, Catroux, représentant de la France libre au Levant, décide d'agir pour les en chasser en association avec les Britanniques, non sans avoir formulé des promesses d'émancipation politique de la Syrie. Les forces de Vichy battues, Churchill fait rudement savoir que « l'Angleterre ne s'est pas battue en Syrie pour substituer les gaullistes à Vichy » et, par le truchement du même général Spears qui a conduit de Gaulle à Londres le 17 juin 1940, dresse les forces politiques syro-libanaises contre la France libre. Guérilla politique où de Gaulle voit le dessein de Londres d'évincer la France du Proche-Orient, qui dure tout au long de l'année 1942 et renaîtra, aggravée, en juillet 1945, après la victoire.
Le conflit américano-gaulliste à propos des îlots de Saint-Pierre-et Miquelon, aux abords du Canada – où, prétextant des incursions de sous-marins allemands, des forces du Commonwealth et des États-Unis avaient fait mine de s'installer, provoquant le déclenchement d'une expédition conduite par l'amiral Muselier –, envenime violemment les relations entre de Gaulle et Roosevelt au moment même où l'attaque japonaise sur Pearl Harbor comblait les vœux de l'homme du 18 juin en précipitant dans la guerre anti-nazie la plus grande puissance mondiale. Intransigeance abusive ? C'est à ce type d'attitude outrecuidante que de Gaulle dut de rester debout jusqu'à[...]
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Écrit par
- Jean LACOUTURE : journaliste, écrivain
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