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MONTESQUIEU CHARLES DE (1689-1755)

Montesquieu - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Montesquieu

Il est tentant de remettre en son état original Montesquieu, victime d'une culture politique approximative et du zèle des savants à le moderniser. Pourtant, ce destin est significatif. Les politiques se rappellent – quand l'atteinte au corps social et au corps politique devient flagrante et que la croyance nécessaire en l'indépendance du pouvoir judiciaire ne peut plus être maintenue – que tout pouvoir est porté à une extension de ses attributions. On invoque alors la séparation des pouvoirs, qui est une théorie générale des conditions de la liberté institutionnelle et sociale. Les savants saluent ce «  sociologue », qui se disait « écrivain politique », dont le savoir sur les gouvernements et l'esprit des lois qui les règlent est innocenté par l'ambition de connaissance et sanctifié par la lutte contre les préjugés. On sait cependant que Montesquieu, subtil écrivain philosophe, seigneur cosmopolite sans illusions, n'est pas réductible à un tel rôle de garant. Mieux vaut, sans séparer une vie sans drames et une œuvre qui tend à une hauteur de vues qu'on croirait trop facilement neutre, suivre une aventure intellectuelle exemplaire. Comment et pourquoi est-il parti à la découverte d' un objet qui lui échappait, ce qu'il appellera un jour les « générations de lois » ? Voilà une quête philosophique que Louis Althusser, après d'autres au siècle des Lumières, pouvait rapprocher de la révolution newtonienne. Elle a fait du monde moral l'empire de « lois-rapports ». Mais il faut aussi l'envisager comme une tentative d'intelligence de nos « aberrations » mêmes, qui infléchit en un sens nouveau la fonction critique. C'est l'expérience d'un homme que, comme beaucoup d'autres, ni le savoir qu'on lui a transmis ni les conformismes de son temps ne peuvent satisfaire, bien qu'il n'ait pas naturellement, comme il le dit, l'« esprit désapprobateur ». Il est parti à la rencontre d'une élucidation à la fois personnelle et générale (« Au sortir du collège, on me mit entre les mains des livres de droit, j'en cherchais l'esprit, je ne faisais rien qui vaille ») et de questions anciennes, mais qui auront un effet de rupture par la manière dont elles seront déplacées. Qu'est-ce qu'un État légitime où les lois s'exercent autrement que comme une puissance ? Qu'est-ce qui peut fonder, pour dominer la pulvérulence de l'histoire, le recours à des lois générales que postule le cartésianisme malebranchiste et à une intelligence de la diversité et des vrais rapports du changement et de la constance ? Cette expérience d'un homme efficacement insatisfait de son savoir et de son temps n'est plus alors celle d'aucun autre, ne serait-ce que par l' effort qui lui donne forme.

Origines, fondations

Charles-Louis de Secondat naît en 1689 au château de La Brède, près de Bordeaux. Entre l'éducation chez les oratoriens (malebranchiens) de Juilly, le lien avec la classe parlementaire (son oncle lui léguera la charge de président à mortier du parlement de Bordeaux qu'il occupera jusqu'en 1726), les attaches nobiliaires et terriennes, le milieu des académies de province, que privilégier ? Origines et influences sont pour Montesquieu non pas celles qu'on subit ou celles dont on croit qu'elles légitiment, mais celles qu'on apprend à mettre à bonne distance.

Voltaire ou Helvetius expliqueront les caractères de son entreprise par son état. Il est vrai : « Trois cent cinquante ans de noblesse prouvée », un double enracinement d'épée et de robe, un attachement à des privilèges « féodaux » – on trouvera là de quoi conforter un petit déterminisme auquel il ne suffit pas d'opposer une conception très élevée du rôle symbolique et patriotique de la noblesse.[...]

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