RAMUZ CHARLES FERDINAND (1878-1947)
Héros d'indépendance et de probité
D'une indépendance farouche, Ramuz a accepté des honneurs locaux, prix, doctorat honoris causa, pour des raisons sentimentales et ataviques. Il a refusé les autres, parce qu'étrangers, et cependant il appartenait déjà au patrimoine de toute notre civilisation, étant traduit dans une vingtaine de langues dont le japonais. On a attribué cette claustration délibérée à son attachement à ses propres paysages, à sa position de champion du roman régionaliste. Peut-être son échec à l'un des premiers prix Goncourt, après une campagne savamment préparée par Édouard Rod, en fut-il la cause... Mais ses romans n'eurent pas besoin de bandes publicitaires pour influencer, en France, Giono, Tyde Monnier, entre autres, et en Suisse, malheureusement, de jeunes écrivains d'un talent mineur qui se crurent obligés d'imiter son style.
Pourtant, jamais il ne chercha à faire des disciples. Il lui suffisait d'accomplir sa mission, sans intention préconçue ni programme. Une mission personnelle dont il ne souffla mot tant elle lui semblait naturelle et intime, et qui l'amena, lui si peu magister, à donner à ses lecteurs une leçon de simplicité, de probité. Si le portrait qu'il a brossé de son petit peuple est clair et juste, c'est qu'il se sentait paysan et avait étudié le cœur des paysans : « Nous sommes un peuple moqueur, parce que nous avons peur d'être dupes. Nous sommes des paysans et le paysan est naturellement méfiant, parce qu'il doute de lui-même. Il soupçonne toujours chez son interlocuteur une supériorité dont il a peur que l'autre n'abuse. À cela s'ajoute, quant à nous, un manque total d'expérience. Nous sommes un pays trop paisible, un pays qui est resté toujours étranger aux grandes fièvres qui agitaient l'Europe. Nous sommes le pays, non des artères, mais des veines charriant mollement et avec retard un sang qui n'a pas assez de fluidité. »
Cette justesse de vue le conduisit bien vite à la simplicité, que des ignares confondirent avec des phrases tarabiscotées au service d'une originalité à tout prix. Quant à la probité, en voici l'aveu : « Achevé de récrire et de recopier la fin de l'« Esprit ». Lentement, laborieusement. J'ai peiné sur ces pages obscurcies de ratures ; plus on va, moins on y voit clair. A-t-on abouti ? question, et ce n'est pas à vous de la résoudre, mais on ne peut s'empêcher de se la poser, qui est là quand même et vous ronge. Alors le doute, le découragement, le ralentissement à oser, l'affaiblissement à réaliser, et tout ce qui s'ensuit fatalement. » Bien sûr, il n'est question que de la difficulté à vaincre, nullement de la difficulté à poursuivre. Il le souligne quelques lignes plus loin, en donnant tort à ceux qui ne « continueront pas d'avancer ». Peiner s'il le faut, pour exprimer pleinement, justement sa pensée ; tout est là.
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Écrit par
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