GARNIER CHARLES (1825-1898)
Après avoir remporté le grand prix de Rome en 1848, Charles Garnier voyage pendant cinq ans en Italie, puis en Grèce, pour y connaître mieux l'architecture antique, classique et baroque. De retour à Paris à l'époque où Lefuel construisait le nouveau Louvre, il travaille un peu avec Viollet-le-Duc. Mais l'éclectisme de Garnier ne pouvait s'accommoder longtemps de la science précise de Viollet-le-Duc en matière d'« archéologie architecturale ». En 1860, il gagne le concours organisé à l'initiative de Napoléon III pour construire un Opéra à Paris (alors que le projet de Viollet-le-Duc est refusé), édifice qui allait devenir son œuvre la plus célèbre en même temps qu'un emblème de la pompe du second Empire. L'extérieur sera terminé en 1870, le bâtiment inauguré en 1875.
Le contraste entre la place de l'Opéra (ou plus exactement de l'Académie nationale de musique) et l'édifice de Garnier mérite d'être signalé : l'architecte accorde, en effet, peu d'importance à l'intégration de l'édifice à un ensemble. Ce fait est plus remarquable encore si l'on se rappelle que les bâtiments de cette place, ainsi que son organisation spatiale, sont contemporains (ils datent de 1858-1864, les architectes en sont Rohault de Fleury et Henry Blondel) : pour Garnier, l'Opéra doit être un bijou rutilant (ou une pièce montée) devant lequel l'« environnement » doit s'effacer dans sa pauvreté.
Si la Renaissance française était à l'honneur avec Lefuel, c'est du style baroque italien que Garnier s'est inspiré ; mais la nouveauté de son bâtiment vient de ce qu'on ne peut lui assigner un modèle précis et qu'on y voit plutôt un collage de pièces rapportées (lorsque l'impératrice, hostile à son projet, lui demande s'il s'agit de style Louis XV, ou de style Louis XVI, Garnier répond : « Mais c'est du Napoléon III », mais l'anecdote est peut-être fausse). La façade s'articule de manière moins répétitive que celle des bâtiments de Lefuel (colonnades, arcades, sculptures de Carpeaux, ornements dorés) et le demi-dôme révèle la fonction intérieure du bâtiment ; l'exubérance décorative n'a donc pas pour rôle de masquer la construction intérieure bien qu'elles n'aient que peu de chose en commun : qu'est-ce qui pourrait rapprocher le dôme néo-byzantin en cuivre, le foyer néo-baroque et le célèbre escalier ? Garnier a réussi à donner à l'Opéra un caractère volumétrique : les trois côtés sont construits de manière à peu près identique à la façade, mais l'articulation spatiale légèrement différente de chacun suggère un mouvement rotatif. La boursouflure interne, qui n'a rien à voir avec la Renaissance italienne, le mélange des styles, l'emphase externe, tout cela peut être la marque à la fois d'une certaine décadence et d'une grande liberté, et précisément l'Opéra de Garnier devint un modèle parce que, par son exagération, il se moque de toute fidélité historique. Les autres bâtiments de Garnier n'ont rien de ce faste « toc » qui fait de l'Opéra (et du casino de Monte-Carlo) d'intéressants symptômes d'un autre âge.
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Écrit par
- Yve-Alain BOIS : professeur d'histoire de l'art à l'université Harvard
Classification
Média
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