GLEYRE CHARLES (1806-1874)
Peintre d'origine suisse. De caractère difficile sinon hypocondriaque, travaillant lentement et peu, Gleyre n'a pratiquement laissé que le souvenir d'un tableau : Les Illusions perdues (Salon de 1843, Louvre), qui le fait assimiler actuellement à tort à un pompier. Un effort de réhabilitation ou de clarification est donc nécessaire.
Le peintre n'est pas négligeable, et d'abord parce que, prenant à la fin de 1843 la succession de Delaroche, son atelier parisien a été fréquenté en trente ans par plus de cinq cents élèves, dont quelques disciples favoris comme Gérôme, Hamon, Picou, mais aussi Monet, Renoir, Sisley, Bazille. Il incarnera ainsi pour la postérité, et malgré le libéralisme de son enseignement, les forces de réaction dont la peinture moderne allait se libérer. Gleyre, s'il s'inscrit dans la tradition académique, apporte par son goût du symbolisme, par le purisme de sa manière et surtout par la mélancolie originale de sa vision quelque chose de différent de la tradition ingresque plus claire, sensuelle et colorée. Ce parnassien gris a sûrement sa place dans l'art du milieu du xixe siècle. Son long séjour en Orient (Égypte et Liban) de 1834 à 1837, dont il revint mourant, n'est pas l'épisode le moins étrange de sa carrière. Il aurait dû devenir un orientaliste si sa correspondance ne témoignait surtout de son ennui et de son aversion pour la vie de ces pays. Et pourtant, une toile comme le Cavalier arabe poursuivi par des Turcs (Lausanne) montre un sens de la couleur dense et du mouvement, qui ne le met pas loin de Decamps. Le Soir, ou les Illusions perdues (1843, Louvre) vont en tout cas à rebours. Le tableau plut par ses intentions poétiques : un homme mûr voit s'éloigner du rivage la barque qui porte les figures de ses rêves. Par la transparence du modelé, la retenue du coloris, Gleyre prenait ses distances avec Ingres et par là même paraissait original. La Séparation des apôtres (Salon de 1845, église de Montargis) montre de quelle tension appliquée peut être capable Gleyre, tandis que des toiles comme Hercule aux pieds d'Omphale (1863, musée de Neufchâtel) ou La Charmeuse (1868, musée de Bâle) illustrent bien son rôle dans cette école dite néo-attique qui, au milieu du xixe siècle, relaie Ingres et qui est en fait un curieux mélange de morbidesse, de sensualité amère, d'humour bourgeois et de préciosité archéologique.
Le jugement de Charles Clément, qui fut aussi le biographe de Géricault, mérite d'être reconsidéré et pris au mot : « Un génie inventif, chaste, poétique ; au plus haut degré le sentiment du style, de la beauté suprême, de la forme pure, de l'art idéal, exquis, une sensibilité et un tact moral [...], le talent de prêter une existence précaire aux rêves les plus fugitifs, les plus déliés de la pensée. » Il y a là, en partie, l'explication de la survie, tard dans le siècle, de la chapelle de ces académiques idéalistes qui n'avaient pas la puissance colorée et philosophique d'un Gustave Moreau.
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Écrit par
- Bruno FOUCART : professeur à l'université de Paris-Sorbonne
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