JOURNET CHARLES (1891-1975)
Charles Journet naquit à Genève le 26 janvier 1891. Professeur au séminaire catholique de Fribourg, conférencier réputé, il fut nommé cardinal en 1965. Il est mort le 15 avril 1975. La célébrité de ce théologien qui ne quitta jamais la Suisse plus de quelques jours tint au fait qu'il sut unir une grande élévation spirituelle et la rigueur d'une pensée strictement thomiste à une large culture et une vive sensibilité. Il fit siennes et développa les idées de Jacques Maritain. On retrouve celles-ci dans Connaissance et inconnaissance de Dieu (1943) et dans la revue Nova et Vetera qu'il dirigea de 1928 à sa mort. Il fut aussi un commentateur fervent de saint Jean de la Croix et des auteurs mystiques et il consacra un ouvrage à Savonarole.
Dans la première période de sa vie, Journet prêta une vive attention aux relations entre catholiques et protestants. Il publia L'Esprit du protestantisme en Suisse (1925) et L'Union des Églises selon le congrès de Stockholm (1927), ouvrages dans lesquels il formule un jugement sévère sur le mouvement œcuménique à ses origines.
L'abbé Charles Journet joua un rôle important pendant la Seconde Guerre mondiale en dénonçant avec vigueur le péril que la propagande nazie faisait courir à la civilisation judéo-chrétienne. Les déclarations qu'il fit à cette époque ont été réunies, lors de la Libération, en un ouvrage, Exigences chrétiennes en politique (1945), dédié « à ceux qui refusent d'adorer les images de la Bête » et centré sur le drame du peuple juif, sur l'antisémitisme, dont les chrétiens commençaient alors à mesurer tous les méfaits, sur l'holocauste des camps de concentration. Vivant dans un pays neutre, Journet fut de ceux qui rappelèrent sans cesse que la justice ne pouvait être neutre. Cette voix suisse eut une influence profonde en France.
Malgré quelques pages bien inspirées et en dépit d'intentions toujours élevées, un autre ouvrage, Destinées d'Israël (1945) est d'une veine moins heureuse. L'auteur y reprend à son compte les imaginations fulgurantes du Salut par les Juifs de Léon Bloy. Il tente de dépouiller ce pamphlet de ses relents antisémites pour n'en retenir que l'intuition centrale du rôle permanent d'Israël dans le salut du monde. Mais il élimine les traits plus incisifs par lesquels Bloy annonçait la « grande apostasie chrétienne » de la fin des temps. Il reste, en tout cas, que cette esquisse d'une théologie chrétienne d'Israël ne tient pas plus compte que les prophéties de Léon Bloy de la réalité juive existante. Il faut même reconnaître que, sur plus d'un point, Journet a profondément ignoré celle-ci.
Au cours des dernières années, il s'est attaché à l'élaboration d'un monumental traité de l'Église, qu'il a laissé inachevé (L'Église du Verbe incarné, 3 vol., 1942, 1951, 1963). Il y a recueilli, dans le cadre de la théologie thomiste, l'inspiration du théologien allemand J. A. Moehler et certaines idées du slavophile A. Khomiakov, lesquels considèrent l'Église chrétienne davantage comme un organisme mystique que comme une institution ; néanmoins, pour l'auteur, « le spirituel est visible » et « l'inspiration se reconnaît mieux qu'ailleurs dans les structures gouvernées par le droit ». Journet a soutenu des thèses typiquement spirituelles, d'une frappe le plus souvent augustinienne ; il a écrit, par exemple : « L'Église, qui est composée de pécheurs, reste elle-même toujours sans péché » ; ou bien : « La frontière de l'Église et du monde passe à travers les cœurs », thèses qui ne peuvent évidemment pas être considérées comme satisfaisantes par l'historien, ou par le théologien contemporain soucieux de chercher les voies de la réunion des chrétiens ou de comprendre la déchirure initiale entre [...]
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Écrit par
- Bernard DUPUY
: directeur du Centre d'études Istina et de la revue
Istina
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