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LUTZ CHARLES (1895-1975)

Né à Walzenhausen (Suisse), Charles Lutz fait ses études en Suisse et aux États-Unis. Diplômé de l'université George-Washington, il entre dans la diplomatie en 1920 et est en poste, successivement, à Washington, à Philadelphie, à Berne et à Saint Louis. En 1939, il est vice-consul à Berlin et, de 1942 à 1945, chargé d'affaires à la légation suisse en Hongrie. C'est à Budapest que ce diplomate modeste fera la preuve de ses éminentes qualités.

Au printemps de 1944, les troupes allemandes s'installent en effet en Hongrie et l'Obersturmbannführer Eichmann, chargé de la « solution finale » du problème juif, décide de nouvelles déportations vers Auschwitz. Il parvient à faire déporter quelque 250 000 Juifs, qui mourront dans les deux mois. Mais de très nombreux autres devront la vie à l'action courageuse de Charles Lutz. La Suisse représente en effet à Budapest les intérêts de dix pays alliés en guerre avec l'Allemagne.

Le consul Lutz s'était acquis la bienveillance du Reich en 1939 en intervenant pour l'amélioration des conditions d'emprisonnement en territoire allié de 2 500 Allemands. Il en profite en 1944 pour arracher des milliers d'hommes à la mort. Accordant protection à tous ceux qui ont envahi les bureaux du consulat, Charles Lutz négocie pour que les laissez-passer d'étrangers et de titulaires d'une double nationalité, reconnus valides par les nazis, bénéficient à des milliers de familles. Il obtient d'abord que ses protégés soient regroupés dans une trentaine d'immeubles d'un quartier à l'abri des pogroms. Puis il entame de longues discussions avec le ministre hongrois des Affaires étrangères et, par l'intermédiaire du chargé d'affaires allemand, avec les autorités de Berlin.

Les tractations durent des semaines, jusqu'à l'été de 1944. Le IIIe Reich finit par se dire prêt à laisser partir 7 500 « unités » de Hongrie si le gouvernement du régent Horty accepte de lui « prêter » 100 000 Juifs pour le travail obligatoire en Allemagne. Les préparatifs se précisent alors. Les passeports d'émigration, passeports collectifs suisses, vont s'accompagner de sauf-conduits individuels. Charles Lutz finit par obtenir que toute personne dont le nom de famille figure sur un des passeports collectifs ait un sauf-conduit personnel. La ténacité du consul est suffisante pour que ses interlocuteurs admettent son point de vue : chacune des quelque 5 000 unités-passeports va pouvoir servir à une dizaine de personnes. C'est ainsi que plus de 50 000 hommes et femmes furent arrachés aux fours crématoires allemands. En 1945, un tiers d'entre eux partit pour le Canada, un autre pour la Palestine ; les autres demeurèrent en Hongrie.

Dans un temps où certains dissociaient la politique du sentiment et où d'aucuns pouvaient se féliciter du « bonheur d'être Suisse sous Hitler », le consul Lutz sut prendre la voie du courage. S'il ne s'est pas vu décerner le prix Nobel de la paix malgré plusieurs propositions, une rue de Haïfa, sa place dans le livre d'or des sauveurs que conserve l'État d'Israël ont assuré le consul général Lutz de la reconnaissance profonde des Juifs. Leur gratitude doit être partagée par tous ceux pour qui importe la défense des droits de l'homme. L'énergie manifestée dans le danger par Charles Lutz témoigne que le combat de l'homme, dans le monde, a un sens. Cette leçon est de tous les temps.

— Charles-Louis FOULON

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Écrit par

  • : docteur en études politiques et en histoire, ancien délégué-adjoint aux célébrations nationales (ministère de la Culture et de la Communication)

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