TALLEYRAND-PÉRIGORD CHARLES MAURICE DE (1754-1838) prince de Bénévent (1806)
Illustre famille noble, claudication dès l'enfance, conviction de n'être pas aimé de sa mère, obligation familiale d'entrer dans les ordres sans vocation : de ces quatre données initiales pourrait se déduire un essai d'explication socio-psychanalytique du personnage, et se dégager le sens fantasmatique plutôt qu'historique de cette « douceur de vivre » sous l'Ancien Régime qu'il célébrera dans ses Mémoires.
À vingt-deux ans, Talleyrand est agent général du clergé de France ; à trente, il est évêque d'Autun. Très lié avec Mirabeau, autant par complicité d'intrigues financières que par convergence politique, député aux États généraux, il joue un rôle décisif dans la nationalisation des biens du clergé, dans l'établissement de la constitution civile du clergé, et sacre les premiers évêques constitutionnels. Après la fin de la Constituante, il se démet de son évêché sans trop de tapage, rentre dans la vie civile, se fait envoyer en mission diplomatique à Londres. Compromis par la découverte des papiers secrets de Louis XVI, décrété d'arrestation par la Convention, il passe aux États-Unis et ne revient en France qu'en 1796. Grâce à sa liaison avec Germaine de Staël, il est nommé par Barras ministre des Relations extérieures en juillet 1797 ; quand Benjamin Constant lui apprend sa désignation, il s'écrie, extasié : « Nous tenons la place, nous tenons la place ! Il faut faire une immense fortune, une fortune immense ! » Il se tiendra parole, et ce sera presque toute sa politique durant deux ans, si ostensiblement qu'il doit démissionner en juillet 1799. À l'automne, il se dépense efficacement pour ménager des concours à Bonaparte, l'aider à préparer son coup d'État ; au lendemain du 18-Brumaire, il se retrouve ministre des Relations extérieures : son immense fortune ne fait que commencer.
Faute de pouvoir le suivre ici dans les méandres de son activité, de ses intrigues et de ses enrichissements, trois points sont à noter, pour le situer dans le nouveau régime. D'abord, la mutuelle attraction que Napoléon et lui éprouvent l'un pour l'autre : Talleyrand est amoureusement fasciné par le génie et la réussite de ce demi-dieu (il ne cessera de l'aimer passionnément que pour le haïr aussi passionnément) ; Napoléon, plus sauvageon encore que nobliau corse, et Français de fraîche date, est ébloui par ce grand seigneur, merveille de raffinement héréditaire. Ensuite, en politique intérieure, Talleyrand incarne la réconciliation avec l'Ancien Régime, le retour des émigrés, la promotion des ci-devant nobles, l'effacement des stigmates de la Révolution (en quoi il est le continuel antagoniste de Fouché, malgré de brefs rapprochements qui ne vont jamais sans arrière-pensées de part et d'autre). Enfin, en politique extérieure, le ministre Talleyrand n'a guère d'initiative, tant il dépend des ordres et surtout des victoires de son maître, mais sa tendance toute classique lui fait rechercher d'abord l'équilibre européen et le met de plus en plus en garde contre les bouleversements de mauvais goût qu'effectue trop vite la subversion napoléonienne.
L'incompatibilité contrarie toujours plus la fascination, et les étapes de la rupture sont rapides. En 1807, Napoléon retire au prince de Bénévent son portefeuille mais le garde dans son Conseil, et Talleyrand plus que quiconque poussera son maître à l'intervention espagnole. En 1808, à Erfurt, Talleyrand trahit l'Empereur et pousse le tsar, en secret, à se dérober aux accords que lui propose Napoléon. En janvier 1809, Napoléon, qui ignore tout de la trahison d'Erfurt mais sait que Talleyrand complote contre lui, lui fait une scène terrible (« Vous êtes de la merde dans un bas de soie ! ») ; dès le lendemain, Talleyrand se rend chez l'ambassadeur[...]
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Écrit par
- Jean MASSIN : écrivain
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