MÜNCH CHARLES (1891-1968)
L'instinct avant tout
Son approche de la direction d'orchestre reposait sur l'instinct. Sa façon de répéter n'avait rien de commun avec celle de ses collègues. Il lui arrivait d'écourter ou de supprimer une répétition parce qu'il connaissait ses musiciens peut-être mieux qu'eux-mêmes et qu'il savait qu'il pouvait se reposer sur leur compétence. Les nuances de détail, les mouvements, le feu général de la partition étaient l'affaire du concert, et tous savaient qu'avec Münch répétition et concert seraient toujours différents l'un de l'autre. Il accordait beaucoup d'importance à la mise en place, assurant ainsi les musiciens contre toutes les « intempéries » que son ardeur pourrait provoquer au concert. Sa formation de violoniste le tournait naturellement vers les cordes, qu'il savait faire chanter mieux que quiconque. Le phrasé n'avait aucun secret pour lui et le choix de ses tempos était toujours naturel. Peut-être sa vision de la musique de Brahms ou de Mozart était-elle dépaysante, mais elle semblait toujours naturelle. Et lorsqu'il abordait Berlioz, Debussy, Fauré ou Ravel, c'était l'accord parfait. Sans oublier la musique de son temps, pour laquelle il a joué un rôle essentiel.
De tous les compositeurs qui furent ses contemporains, c'est probablement Arthur Honegger qui a été son plus proche complice. Cette amitié remontait aux premières années parisiennes de Charles Münch. Les deux hommes constituaient des traits d'union entre deux civilisations. Pendant l'occupation allemande, quelques mois après la création mondiale, à Bâle, de La Danse des morts et de la Deuxième Symphonie, pour cordes d'Honegger sous la baguette de Paul Sacher, Münch dirige les premières auditions françaises de ces deux œuvres, qu'il enregistre au même moment. Le 17 août 1946, il crée la Troisième Symphonie « Liturgique », qui lui est dédiée, et, en 1951, la dernière symphonie d'Honegger, la Cinquième Symphonie « Di tre re ». Avant la guerre, il avait déjà créé certaines œuvres d'Albert Roussel, autre grande figure de la musique d'alors, qu'il impose. Il crée aussi des œuvres de Pierre-Octave Ferroud, Jean Rivier, Florent Schmitt et donne la première audition française de la Symphonie en Ut de Bizet, récemment redécouverte et que Felix Weingartner vient de révéler à Bâle. Sous l'Occupation, son action en faveur de la musique contemporaine française s'intensifie. Il dirige une œuvre nouvelle presque chaque semaine. En dehors de Francis Poulenc et d'Honegger (la musique de Darius Milhaud ayant été vite rayée des programmes pour des raisons politiques), Münch impose Ropartz (Psaume 129, 1942 ; Cinquième Symphonie, 1946), Maurice Duruflé, Jean Françaix (L'Apocalypse de saint Jean, 1942), André Jolivet (Les Complaintes du soldat, 1943), Jean Martinon(Stalag IX, 1942 ; Psaume 136, 1943), Henri Martelli, Jacques Ibert (Ouverture de fête, 1942).
Après la Seconde Guerre mondiale, et particulièrement lorsqu'il est à Boston, l'action de Münch s'étend notamment aux grands noms de la musique américaine – comme Aaron Copland, William Schuman et Samuel Barber –, mais aussi à Poulenc (Gloria, 1961). La liste – non exhaustive – des compositeurs auxquels il passe commande en 1955 pour le 75e anniversaire de l'Orchestre symphonique de Boston, est explicite : Ibert (Bostoniana), Bohuslav Martinů (Sixième Symphonie « Fantaisies symphoniques »), Milhaud (Sixième Symphonie), Goffredo Petrassi (Cinquième Concerto pour orchestre), Walter Piston (Sixième Symphonie), Heitor Villa-Lobos (Onzième Symphonie) et Henri Dutilleux (Deuxième Symphonie « Le Double »), qui occupera dans ses programmes une place aussi importante qu'Honegger auparavant. En 1963, Münch inaugure l'Auditorium[...]
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Écrit par
- Alain PÂRIS : chef d'orchestre, musicologue, producteur à Radio-France
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- Écrit par Encyclopædia Universalis et Alain PÂRIS
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