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NÈGRE CHARLES (1820-1880)

Mort dans l'oubli, dans sa ville natale de Grasse, le 16 janvier 1880, le photographe français Charles Nègre a été redécouvert en 1936, à la faveur des grandes expositions photographiques à caractère rétrospectif, organisées à Paris et à New York. En 1963, une première monographie, entreprise par le collectionneur André Jammes, lui fut consacrée. Depuis cette date, les expositions se sont multipliées — paradoxalement, à l'étranger —, la plus importante d'entre elles étant celle de la National Gallery of Canada, à Ottawa, en 1976, qui présentait l'acquisition d'une centaine d'épreuves de l'artiste. En France, l'œuvre de Charles Nègre fut enfin révélée au grand public lors de l'année du Patrimoine, en 1980, à l'occasion d'une grande exposition commémorant le centenaire de sa mort. Françoise Heilbrun et Philippe Néagu sont les auteurs d'un remarquable catalogue, somme de recherches et d'analyses exhaustives.

Charles Nègre fait partie de cette génération, née autour de 1820, tels ses amis Henri Le Secq, Gustave Le Gray, Édouard-Denis Baldus, qui, à défaut d'être reconnus comme de grands peintres, trouvèrent avec l'avènement de la photographie un nouveau moyen d'expression. Rompu aux exercices du chevalet dans les ateliers de Delaroche, Drolling et Ingres — dont il retiendra certains principes théoriques —, Nègre découvre en 1844 la photographie : « Assistant à une des séances de l'Académie où furent présentées des images daguerriennes, je fus frappé d'étonnement à la vue de ces merveilles et, entrevoyant l'avenir réservé à cet art nouveau, je pris la résolution d'y consacrer mon temps et mes forces... », ainsi qu'il le précise lui-même dans son Mémoire sur l'héliogravure adressé à Napoléon III le 7 juin 1858.

De 1851 à 1854, il photographie dans la cour de sa maison (située 21, quai Bourbon) et sur les berges de la Seine ses proches, lui-même et des petits métiers parisiens : chiffonniers, ramoneurs (la série des Ramoneurs en marche, 1851-1852, fut saluée par la critique), tailleurs de pierre, couvreurs, ouvriers et joueurs d'orgue. Puis il reçoit une série de commandes du gouvernement : pour la cathédrale de Chartres (1854), pour des reproductions d'œuvres d'art conservées au Louvre (1858), les nouveaux bâtiments intérieurs de l'asile impérial de Vincennes, avec ses pensionnaires. Passionné par la technique, Nègre s'est aussi intéressé aux procédés de reproduction des photographies par l'héliogravure : il est engagé en 1865 par le duc de Luynes pour produire les planches du Voyage d'exploration à la mer Morte, à Petra et sur la rive gauche du Jourdain (Arthur Bertrand, Paris, 1871-1875). Nègre termina sa vie en exploitant un studio commercial à Nice.

En recherchant la traduction de l'instantané dans ses « scènes de genre » — scènes animées de figures anecdotiques et familières, de la vie quotidienne ou domestique —, Charles Nègre a été l'un des tout premiers photographes à saisir ce qu'est l'essence même de la photographie. De nombreux historiens voient en lui un authentique créateur d'images, le précurseur, même s'il n'a pas été pour la postérité une référence explicite, de certaines images d'Atget, de Lartigue, Kertész, Cartier-Bresson et Doisneau. Son attention à l'humain, qui transparaît également dans ses vues de ville ou de campagne (notamment dans son projet d'une série sur le midi de la France, envisagé dès 1852), constitue le trait original de l'expression photographique au milieu du xixe siècle.

— Elvire PEREGO

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Écrit par

  • : historienne de la photographie, département de la recherche bibliographique, Bibliothèque nationale de France

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