NODIER CHARLES (1781-1844)
L'art du conte
Cette flânerie le conduisit tardivement à l'art du conte. Il l'avait côtoyé en 1821 avec Smarra, ou les Démons de la nuit, en 1822 avec Trilby, ou le Lutin d'Argail, avec certains poèmes en prose qu'il donnait pour du folklore morlaque, avec des fantaisies qu'il sertissait, en 1830, dans son Histoire du roi de Bohême et de ses sept châteaux, surtout la savoureuse Histoire du chien de Brisquet. Mais, après 1830, la mode des contes et des nouvelles envahit tout. Nodier la suit dans ses Souvenirs et portraits de la Révolution française qu'il recueille en 1831, qui se présentent comme une galerie d'anecdotes et s'ouvrent à de véritables contes comme Séraphine. Ainsi encore, l'année suivante, ses Souvenirs de jeunesse. Et, à partir de ce moment, cette suite d'histoires tragiques, mélancoliques ou plaisantes, dont la dernière, l'année même de sa mort, est ce songe inspiré du vieux Songe de Polyphile : Franciscus Columna, dont Jules Janin assura la publication posthume.
Dans cette chatoyante série, c'est bien lui-même qu'il avait mis, avec le caractère que lui avaient fait son temps et sa province : une province qui unit le réalisme et l'utopie, qui abonde en figures originales. Nodier lui a beaucoup demandé. Il doit son initiation de naturaliste à un savant de Novillars, Girod de Chantrans, auprès de qui il séjourna en 1794 ; sa charge d'histoire et de philologie à son cher Charles Weiss, bibliothécaire de Besançon... Les aspects de la vie comtoise reviennent avec insistance dans son œuvre, dans Jean-François les bas bleus (1832), Baptiste Montauban (1833), La Neuvaine de la Chandeleur (1838), et lui-même y figure avec ses caractères contrastés ; ici, dans « le calme et la bienveillance de l'âme » ; là, avec sa sensibilité qui s'est « usée en essais infructueux », dans « l'agitation toujours renaissante d'une vie incertaine et mobile ». Et surtout, dans son Histoire du roi de Bohême et de ses sept châteaux, il a décrit les Charles Nodier qui se débattaient : l'un fait de contemplation et de rêveries ; l'autre d'entrain, de gaieté malicieuse ; le troisième de curiosité érudite, de manie fureteuse.
Le Nodier des bavardages scientifiques se pique de médecine et l'on a fait le compte des anévrismes, phtisies et autres maladies, sans oublier la folie, qui agrémentent de leurs symptômes ses histoires. Celui de la gaieté imaginative, le causeur des soirées de l'Arsenal, nous prévient que ses histoires seront longues, qu'une histoire lui en rappellera une autre et qu'il ne fera rien pour les abréger ; il est de ceux qui ne savent pas trop s'ils nous mystifient ou s'ils se mystifient eux-mêmes. Mais de ces trois Charles Nodier, le préféré est assurément le rêveur, le contemplateur, le lunatique. S'il se défend d'appartenir au genre descriptif, il en distingue le genre pittoresque. Au contemplateur se substitue secrètement un songeur. Nodier qui, dans La Neuvaine de la Chandeleur, se donne pour somnambule, a accordé au rêve, dans ses contes et dans sa vie, une place qui le désigne aux études des psychiatres et aux analyses freudiennes. Il a exposé, dans un essai, De quelques phénomènes du sommeil, toute une théorie qui entrouvre, longtemps avant Lautréamont et les surréalistes, cette région où le moi éveillé abdique devant un moi inconnu. L'auteur de Smarra a défini ces vases communicants que sont la création poétique et les illusions du sommeil. Il a décrit, à propos de l'héroïne de Trilby, « cet espace indécis entre le repos et le réveil où le cœur se rappelle malgré lui les impressions qu'il s'était efforcé d'éviter pendant le jour ». Avant Gérard de Nerval, avant Verlaine, Nodier qui était parfois poète, même en vers, et qui a publié en 1827 un recueil[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Pierre MOREAU : professeur honoraire à la faculté des lettres et sciences humaines de Paris, doyen honoraire de la faculté des lettres et sciences humaines de Besançon
Classification
Média
Autres références
-
CÉNACLES ROMANTIQUES
- Écrit par France CANH-GRUYER
- 2 432 mots
- 1 média
...néo-classicisme formel. La part de la critique y est faible et celle du pamphlet à peu près nulle. Le terme même de romantisme n'y est pas employé. C'est Charles Nodier qui, dans un article du 15 avril 1824, « Première Lettre sur Paris : de quelques logomachies classiques », passe à l'attaque, s'attirant... -
ÉCOLE LITTÉRAIRE
- Écrit par François TRÉMOLIÈRES
- 2 644 mots
... désigne la salle de la Sainte Cène). À Paris, l'histoire littéraire retient en effet sous le nom de Premier Cénacle le salon de l'Arsenal, où Charles Nodier, qui y logeait comme directeur de la bibliothèque, accueillait notamment Alfred de Vigny et les frères Deschamps : laboratoire, vers 1823,... -
RÉCIT DE VOYAGE
- Écrit par Jean ROUDAUT
- 7 128 mots
- 2 médias
...inconnus. Le meilleur exemple d'un livre se proposant comme espace de voyage est probablement L'Histoire du roi de Bohême et de ses sept châteaux que Charles Nodier publie en 1830. L'influence du Tristam Shandy de Sterne y est nette : non seulement les pages sont des espaces blancs ou noirs, mais... -
ILLUSTRATION
- Écrit par Ségolène LE MEN et Constance MORÉTEAU
- 9 135 mots
- 11 médias
...forme du livre illustré romantique, à vignettes multiples, apparaît progressivement : d'abord, l'Histoire du roi de Bohême et de ses sept châteaux de Charles Nodier publié chez Delangle en 1830, ce livre précurseur, bourré d'allusions et d'ironie, à la façon de Sterne, est illustré de 50 vignettes par... - Afficher les 7 références