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PHILIPON CHARLES (1806-1862)

Ancien élève du baron Gros, créateur de nombreux journaux, Charles Philipon est l'une des figures les plus importantes de la presse du xixe siècle. Il a « lancé » et inspiré bien des caricaturistes : Daumier, Grandville, Traviès, Cham, Monnier et Gavarni, pour ne citer que les plus célèbres. Républicain intransigeant dans ses convictions, animateur hors pair, il crée les conditions de l'essor de la grande caricature française. La tension existant entre forces républicaines, monarchistes et bonapartistes, après la révolution de 1830, favorise l'éclosion d'un genre qui se nourrit de contradictions. C'est sous l'effet conjugué de la situation politique, du développement de la presse d'opinion et de l'évolution des procédés de reproduction que le talent d'un certain nombre de dessinateurs trouve les conditions de son épanouissement. La différenciation entre classes sociales, entre métiers actifs et sédentaires engendre l'apparition de tels ou tels « types » et permet à l'artiste de concevoir une vaste fresque sociale. Le caricaturiste français qui jusqu'alors n'avait représenté que les ridicules et les travers de la société prend conscience des transformations profondes du milieu dans lequel il vit. À la perception statique qui ne retenait que les tics et les excès succède une vision évolutionniste. Philipon le premier, caricaturiste lui-même, voit dans la bourgeoisie montante, éprise de progrès technique, moins la tendance au changement que l'inertie qui la pousse à s'identifier politiquement au pouvoir royal. Aussi est-ce le roi bourgeois Louis-Philippe qui devient la cible favorite de sa virulence. Le cheminement graphique qui le conduit à passer du portrait de Louis-Philippe à la figuration d'une poire par les stades intermédiaires d'une démonstration tendancieuse est aujourd'hui universellement reconnu comme le symbole même de l'art caricatural ; au point que les autres œuvres de l'auteur sont éclipsées par ce symbole. Ce processus de « réduction » vaut à Philipon d'être traduit devant les tribunaux où, pour se défendre et, aussi, pour contre-attaquer, il est amené à expliquer complaisamment à l'aide de la parole et du tableau noir la démarche artistique qui l'a conduit dans son travail de simplification. Sa défense, comme l'œuvre elle-même, est un modèle du genre : « Si pour reconnaître le monarque dans certaine caricature, vous n'attendez pas qu'il soit désigné autrement que par la ressemblance, vous tombez dans l'absurde. Voyez ces croquis informes auxquels j'aurais peut-être dû borner ma défense. Ce croquis ressemble à Louis-Philippe, vous condamnerez donc ! Alors il faudra condamner celui-ci, qui ressemble au premier, puis condamner cet autre, qui ressemble au second. Et enfin, vous ne sauriez absoudre cette poire, qui ressemble aux croquis précédents. Ainsi, pour une poire, pour une brioche, et pour toutes les têtes grotesques dans lesquelles le hasard ou la malice aura placé cette triste ressemblance, vous pourrez infliger à l'auteur cinq ans de prison et 5 000 francs d'amende. Avouez, Messieurs, que c'est là une singulière liberté de la presse ! »

La poire, Isabey l'avait utilisée pour marquer une analogie sans conséquence. Philipon, lui, en fait une arme dangereuse. Le roi ne ressemble pas plus à une poire que n'importe quel homme pris au hasard mais, par la transformation tendancieuse que le caricaturiste lui fait subir, la présomption de stupidité atteint le monarque et par suite toute la classe politique qui soutient le régime. L'artiste identifie la poire pour n'en faire que le cas particulier mais symbolique d'une espèce.

Cette utilisation de la poire rend la représentation de tout fruit définitivement suspecte aux yeux de la justice.[...]

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<it>Ratapoil</it>, H. Daumier - crédits :  Bridgeman Images

Ratapoil, H. Daumier

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