Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

PARKER CHARLIE (1920-1955)

L'art de Parker

Si Charlie Parker peut être qualifié de révolutionnaire, le terme n'a pas toute la force qu'il prend lorsque l'on parle, par exemple, d'Arnold Schönberg. Comme le constate André Hodeir, « sa phrase, moins diatonique que celle d'un Lester Young, épouse souvent les prolongements des accords ». En effet, après avoir réalisé une synthèse des éléments mélodiques et expressifs du blues de Kansas City, Charlie Parker nous donne une interprétation libre des schémas harmoniques du jazz traditionnel. Il ne fait pas table rase du passé et il ne se lance pas dans l'inconnu, mais donne une extension inouïe à une somme culturelle traditionnelle. Tout d'abord il confère au jazz un univers tonal très élargi, et cultive les glissements mélodico-harmoniques par goût des accords inédits, la pratique d'un chromatisme exacerbé, et l'utilisation permanente d'accords de passage. La dissonance, sans être favorisée, n'est pas évitée. La rythmique de Parker se fonde essentiellement sur la décomposition du temps. Les valeurs brèves prennent chez lui une importance considérable. Si sa technique lui permet des tempos ultra-rapides, le trait volubile qu'il affectionne tant n'est pas pour lui simple fantaisie décorative ni remplissage gratuit. Il s'agit d'une véritable esthétique du tumulte, Parker se lançant parfois dans un débit haché et cahoté (Koko, Salt Peanuts, Leap Frog), d'une glorification du mouvement, de l'envolée lyrique. L'accentuation de sa phrase – quel qu'en soit le tempo – s'appuie tantôt sur le temps, tantôt à l'intérieur du tempo. Les accents épousent fidèlement les contours de la mélodie, en exploitent toutes les différences d'intensité. Parfois, Parker suggère suffisamment certaines notes pour que l'oreille les entende sans qu'elles soient effectivement jouées. Le silence lui-même n'est plus recherché comme simple moyen d'aérer le discours musical, mais comme élément expressif intégré à un langage, appelant le contrepoint rythmique ou la réplique d'un partenaire. Ses ponctuations inattendues – ivres de liberté – effacent la perception d'un tempo régulier.

Tous ces éléments libertaires ne s'assemblent pas de manière anarchique mais s'imbriquent dans une construction d'une rare rigueur, dans un swing renouvelé certes, mais irrésistible (Bloomdido, An Oscar for Treadwell). Cet improvisateur génial est aussi un grand interprète de blues et de ballades. Son modernisme ne le coupe jamais de ses racines. Il y obtient – au simple prix d'un changement de registre – une respiration prenante et un relief étonnant. Sa sonorité s'y révèle d'un très grand dépouillement. Il n'aime pas l'emphase et n'a pas le timbre opulent, ni les harmoniques généreuses d'un Coleman Hawkins. Avec lui, nous allons directement à l'essentiel. Le vibrato n'est plus un but en soi, mais seulement un élément de coloration, utilisé par le Bird avec une grande parcimonie. Mais les limites de l'analyse apparaissent ici très vite. Cette imagination hors du commun ne se laisse pas réduire aisément en ses éléments constitutifs. Le génie résiste à l'autopsie. Les disciples de Parker – un Sonny Stitt, un Phil Woods, un Julian Cannonball Adderley – n'ont pas mieux réussi à en percer le secret : ils se sont bornés à répéter les leçons du maître sans pouvoir respirer à la même hauteur. Et, faute de pouvoir marcher sur ses traces, nombre de musiciens – à l'instar du groupe Supersax d'Hollywood rejouant ses solos à quatre ou cinq voix – ne font que donner un pâle reflet de ses improvisations. Cet artiste maudit est devenu pour tous les musiciens le symbole de la liberté la plus pure. La colombe est bien celle de la paix.

[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Média

<it>Charlie Parker et The Metronome All-Stars, New York</it>, H. Leonard - crédits : H. Leonard/ Archives Center-NMAH/ Smithsonian Institution

Charlie Parker et The Metronome All-Stars, New York, H. Leonard

Autres références

  • BE-BOP

    • Écrit par
    • 769 mots

    Au début des années 1940, quelques jazzmen, parmi lesquels Charlie Parker, Dizzy Gillespie et Thelonious Monk, se retrouvent lors de jam-sessions à New York. Ils y expérimentent une nouvelle forme de musique improvisée qui modifie profondément la couleur sonore du jazz : le be-bop.

    Au début...

  • DAVIS MILES (1926-1991)

    • Écrit par
    • 1 759 mots
    • 2 médias
    ...professeur, Elwood Buchanan, ancien trompettiste d'Andy Kirk, lui fait travailler la vélocité et l'encourage à jouer sans vibrato. En 1944, il rencontre Charlie Parker et Dizzy Gillespie à l'occasion d'une tournée à Saint Louis de l'orchestre de Billy Eckstine. C'est le tournant décisif de sa vie musicale. S'il...
  • DAVIS MILES - (repères chronologiques)

    • Écrit par
    • 985 mots

    25 mai 1926 Miles Dewey Davis, III naît à Alton (Illinois), dans une famille noire, mélomane et bourgeoise.

    Septembre 1944 Miles Davis s'installe à New York, officiellement pour préparer son entrée à la Juilliard School of Music, en réalité pour rencontrer Charlie Parker.

    1945-1948 ...

  • JAZZ

    • Écrit par , , , et
    • 10 992 mots
    • 26 médias
    Le bopper le plus important – et, avec Louis Armstrong et Duke Ellington, le plus grand créateur du jazz – est le saxo alto Charlie Parker. Improvisateur génial, tant sur tempo lent, où il épanouit un lyrisme mélodique aux lignes admirables (Embraceable You) et souvent pathétiques (Lover Man...
  • Afficher les 7 références