Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

CHARTE DES DROITS FONDAMENTAUX DE L'UNION EUROPÉENNE

Article modifié le

La Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne a été proclamée à Nice le 7 décembre 2000. C’est le traité de Lisbonne (2007) qui actera pleinement son intégration dans le droit positif européen en lui reconnaissant la même valeur juridique que les traités européens. Elle a été conçue pour définir des droits fondamentaux propres à l'ordre juridique de l'Union européenne – dont l'autonomie est une des caractéristiques essentielles. D'après le préambule de la Charte, ces droits « résultent notamment des traditions constitutionnelles et des obligations internationales communes aux États membres, du traité sur l’Union européenne et des traités communautaires, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales [proclamée en 1950 à l'initiative du Conseil de l'Europe, institution extérieure à l'UE, et dite aussi Convention européenne des droits de l'homme], des Chartes sociales adoptées par la Communauté et par le Conseil de l’Europe, ainsi que de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes [devenue en 2009 Cour de justice de l'Union européenne] et de la Cour européenne des droits de l’homme [dépendant du Conseil de l'Europe] ». Faute d'une juridiction spécifique dédiée à l'application et à l'interprétation de la Charte, c'est à la Cour de justice de l'Union européenne qu'est revenue la tâche de développer une jurisprudence relative à la Charte des droits fondamentaux. C'est au travers de ce travail jurisprudentiel que la Charte est devenue le principal outil de la protection des droits de l’homme au sein de l’ordre juridique de l’Union européenne.

Genèse de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne

La rédaction de la Charte

La proclamation solennelle, lors du sommet de Nice, le 7 décembre 2000, par le Parlement européen, le Conseil et la Commission d'une Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne est passée quasiment inaperçue dans le tourbillon politique du moment, alors qu'elle représentait une étape très significative de l'évolution de l'Union européenne.

Alors que toute l'histoire des Communautés européennes, puis de l'Union européenne, a été centrée sur des préoccupations économiques assez éloignées de ce qu'il est convenu d'appeler les droits de l'homme, la Cour de justice des Communautés européennes, a, dès les années 1970, grâce à une jurisprudence constante et prudente, dégagé des principes généraux du droit communautaire applicables en matière de libertés fondamentales. Par la suite, les États membres, à travers les traités de Maastricht en 1992 et d'Amsterdam cinq ans plus tard, ont peu à peu étendu le domaine d'action et les compétences juridiques de l'Union.

Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

Au fur et à mesure que le contentieux se développait, que les domaines d'action des Communautés et de l'Union s'étendaient, et que, en même temps, les préoccupations liées à l'État de droit devenaient des priorités dans tous les pays, s'est posée la question de savoir si les autorités de l'Union européenne étaient assujetties au respect des droits fondamentaux. Le traité de Maastricht, puis le traité d'Amsterdam faisaient référence aux « traditions constitutionnelles communes des États membres » ainsi qu'à la Convention européenne des droits de l'homme. Une solution aurait consisté à ce que l'Union, en tant que telle, adhère à cette Convention liant les 43 États du Conseil de l'Europe – dont les 15 États de l'Union –, et accepte, par voie de conséquence, la juridiction de la Cour européenne des droits de l'homme qui siège à Strasbourg. Dans le cadre des traités européens alors en vigueur, cette solution n'était pas possible. Il semble, au surplus, que les pays membres de l'Union aient préféré se doter d'un catalogue de droits fondamentaux susceptible de devenir obligatoire et d'éviter ainsi la juridiction de la Cour de Strasbourg (institution dépendant du Conseil de l'Europe et sans lien avec l'Union européenne).

C'est lors du sommet de Cologne, sous présidence allemande, les 3 et 4 juin 1999, que les chefs d'État ou de gouvernement prirent la décision « de réunir les droits fondamentaux en vigueur au niveau de l'Union dans une Charte, de manière à leur donner une plus grande visibilité ». Lors du sommet de Tampere, sous présidence finlandaise, les 15 et 16 octobre 1999, des décisions plus précises furent adoptées en ce qui concerne la composition, les méthodes de travail et les modalités pratiques de l'organe chargé d'élaborer cette Charte.

Entre la première réunion de « la Convention » le 17 décembre 1999, l'adoption de la Charte par la Convention le 2 octobre 2000 et sa proclamation à Nice le 7 décembre 2000, il s'écoula une année, ce qui, au regard des enjeux et de la difficulté de l'exercice, paraît fort court. Cette Charte présente trois caractères significatifs relatifs à sa procédure d'adoption, à son contenu et à sa portée.

Une procédure de rédaction originale

Traditionnellement, les grandes étapes politiques et juridiques de l'Union européenne sont marquées par des conférences intergouvernementales à l'issue desquelles un traité est signé. Tel fut encore le cas pour le traité de Nice signé le 26 février 2001 ou pour celui de Lisbonne signé le 13 décembre 2007.

Pour la Charte, une procédure totalement différente fut adoptée qui combinait des procédures délibératives collectives et d'inévitables négociations diplomatiques. Partant du principe que, conformément aux conclusions du sommet de Cologne (juin 1999) et aux orientations de celui de Tampere (octobre 1999), la Charte ne devait pas être incorporée dans le traité de Nice ni devenir, au moins dans un premier temps, un texte ayant une valeur normative impérative, le sommet européen de Tampere décida que la Charte serait préparée par une institution spécifique, appelée à ce stade « enceinte », et dont la dénomination est rapidement devenue « Convention ». Cette instance comportait, par accord entre les chefs d'État ou de gouvernement, quatre catégories de membres, d'importance numérique inégale : quinze représentants des chefs d'État ou de gouvernement des États membres ; un représentant du président de la Commission européenne ; seize membres du Parlement européen ; trente membres des Parlements nationaux, c'est-à-dire deux par pays pour tenir compte, lorsque cela était le cas, des Parlements bicaméraux. Des représentants de la Cour de justice des Communautés européennes, du Conseil de l'Europe et de la Cour européenne des droits de l'homme pourraient assister aux travaux en tant qu'observateurs.

Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

Pour la première fois dans l'histoire européenne, la composition de cette Convention permettait de réunir, dans une même formation de travail et dans la perspective de déboucher sur un texte précis, des représentants du pouvoir exécutif ayant le mandat implicite d'engager leurs États, des représentants des souverainetés nationales des pays membres, des représentants de la volonté commune des citoyens de l'Union grâce aux délégués du Parlement européen, enfin un représentant de l'intérêt communautaire en la personne du représentant du président de la Commission européenne.

Tous les témoignages concordent pour constater que, d'une part, les différents organes de nomination ont pris soin de désigner des personnalités actives, compétentes et intéressées, et que, d'autre part, l'ambiance au sein de cette Convention fut toujours à la fois studieuse, conviviale et volontariste, même si, par la force des choses, des désaccords se sont manifestés, en particulier sur l'importance à accorder aux droits sociaux.

Une des règles fondamentales de travail, qui fut toujours respectée, consista à ne jamais voter et à adopter les décisions uniquement par consensus. Selon les participants, cette méthode évita de figer les positions et obligea dans certains cas à poursuivre longuement les discussions.

Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

En outre, conformément aux décisions du sommet de Tampere, les délibérations de la Convention furent publiques, un site Internet spécifique fut dédié à ses travaux et un dialogue avec tous les organismes intéressés, nationaux et européens, fut institué.

Même si la légitimité de la Convention ne reposait, en fin de compte, que sur sa création par décision des chefs d'État ou de gouvernement à Cologne et à Tampere, la diversité de sa composition et ses méthodes de travail lui conférèrent, a posteriori, une véritable légitimité démocratique.

Le contenu de la Charte des droits fondamentaux

Les rédacteurs de la Charte avaient reçu mandat non pas d'inventer de nouveaux droits fondamentaux, mais avant tout de mettre en forme ceux que l'on pouvait considérer comme communs aux pays membres de l'Union en raison soit de leurs dispositions nationales, soit des instruments internationaux auxquels ils avaient tous souscrits, en particulier la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme de 1950 ou les pactes des Nations unies de 1966 relatifs aux droits civils et politiques ou aux droits économiques, sociaux et culturels. La principale difficulté consistait à rédiger une synthèse du droit positif acceptable par tous les gouvernements, même les plus réservés, sans donner l'impression d'adopter un standard minimal ou, au contraire, de proposer des innovations susceptibles de donner naissance à de véritables débats doctrinaux. En outre, il importait de dépasser la stricte tradition libérale classique en ne négligeant pas les droits sociaux, absents de la Convention européenne, ou en incorporant des droits nouveaux comme le droit à la sauvegarde de l'environnement ou la protection des données personnelles.

En fin de compte, la Charte est divisée en six chapitres verticaux couvrant les différents domaines des droits fondamentaux et un chapitre horizontal relatif aux clauses générales. Les trois premiers chapitres (« Dignité », « Libertés », « Égalité ») concernent les droits les plus habituels issus des textes de la fin du xviiie siècle et du xixe siècle. On y trouve, dès l'article premier, la dignité de la personne humaine et ses corollaires (dont l'interdiction de la peine de mort), puis les grandes libertés physiques, politiques et intellectuelles ainsi que le principe d'égalité avec ses déclinaisons positives et ses conséquences en matière de non-discrimination et de diversité. Le chapitre iv « Solidarité », dont l'intitulé et le contenu furent âprement discutés (en particulier par les Britanniques), regroupe les principes essentiels de la vie collective ou de la protection due aux plus faibles d'une société (par exemple, les conditions de travail, la sécurité sociale ou, de manière plus novatrice, la protection des consommateurs et de l'environnement). Les chapitres sur la « Citoyenneté » et la « Justice » comprennent des dispositions de nature plus juridique, comme le droit de vote, l'accès à la justice et les grands principes du droit pénal et de la procédure du procès équitable.

Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

De manière à éviter, au fil des articles, les alinéas qui, habituellement, définissent la portée et les limites du droit proclamé au début de l'article, un chapitre vii intitulé modestement « Dispositions générales » regroupe tout ce qui concerne le champ d'application de la Charte (art. 51), la portée des droits garantis (art. 52), le niveau de protection (art. 53) et l'interdiction de l'abus de droit (art. 54). Ces clauses horizontales méritent de longs commentaires. Elles précisent en particulier que la Charte ne s'adresse qu'aux institutions et organes de l'Union ainsi qu'aux États membres « lorsqu'ils mettent en œuvre le droit de l'Union », que « toute limitation de l'exercice des droits et libertés reconnus par la présente Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés ». De manière à éviter, autant que faire se peut, des conflits avec la Convention européenne des droits de l'homme, l'article 52, paragraphe 3, établit un lien entre les deux textes et indique qu'en cas de droits identiques le sens et la portée des dispositions de la Charte sont « les mêmes que ceux » de la Convention européenne. Pour rassurer ceux qui estimeraient que le contenu de la Charte n'est pas assez protecteur, il est confirmé qu'« aucune disposition de la présente Charte ne doit être interprétée comme limitant ou portant atteinte aux droits de l'homme et libertés fondamentales reconnus » par d'autres textes, en particulier par les dispositions internationales ou nationales applicables dans les États membres selon le droit positif en vigueur.

Au total, le contenu de la Charte offre à l'historien des droits de l'homme un condensé des droits et libertés fondamentaux existant dans la région du monde qui, au cours de la seconde moitié du xxe siècle, a développé le système supranational le plus sophistiqué possible.

— Didier MAUS

Accédez à l'intégralité de nos articles

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : ancien conseiller d'État, ancien président du tribunal constitutionnel d'Andorre, président émérite de l'Association internationale de droit constitutionnel
  • : maître de conférences en droit public, université d'Orléans
  • Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

Classification

Autres références

  • EUROPE - Diversité religieuse

    • Écrit par et
    • 11 343 mots
    ...légitimation. La naturalité apparente de ces termes en fait un instrument propice à toutes les manipulations – en tout cas à des usages contradictoires. L'adoption, en tant que traité, de toute la Charte des libertés et des droits fondamentaux conclue à Nice (2000) redouble la difficulté, puisque le Préambule...

Voir aussi