CHARTRES ÉCOLE DE (XIIe s.)
À la fin du xixe siècle, R. L. Poole (Illustrations of the History of the Medieval Thought and Learning, Londres, 1884) et A. Clerval (Les Écoles de Chartres au Moyen Âge, Paris, 1895) ont accrédité l'idée que l'école épiscopale de Chartres, fondée au vie siècle, avait connu pendant la première moitié du xiie siècle un développement particulièrement brillant, et qu'elle était devenue de ce fait un centre intellectuel d'importance majeure. C'est ainsi qu'on pouvait lui rattacher, directement ou indirectement, les noms de Bernard de Chartres, de Thierry (présumé son frère), de Guillaume de Conches, Gilbert de La Porrée, Clarembaud d'Arras, Bernard Silvestre, Jean de Salisbury... Les liens locaux entre ces personnages se doublant d'une parenté d'esprit, à raison de l'enseignement dispensé dans cette école, on était autorisé à parler d'une « école » de Chartres dans les deux sens de ce mot. Récemment (1965, 1970), R. W. Southern (Medieval Humanism and Other Studies, Oxford, 1970) a montré que la stricte critique des documents ne permettait pas d'être aussi affirmatif. L'école de Chartres ne différerait donc pas des nombreuses autres écoles épiscopales du temps : rien ne prouve jusqu'ici qu'elle se soit distinguée par une brillante pléiade de maîtres. Quant à l'« esprit chartrain », est-il autre chose que le résultat d'une lecture illusoire des textes, faussée dans son principe par la croyance en une école de Chartres ? Selon Southern, l'« humanisme » qu'on s'est plu à y voir n'a rien de spécifique : il est du temps, non d'un lieu.
Bien que certains de ces arguments aient été légitimement contestés par des spécialistes (A. Vernet, E. Jeauneau), et que l'école de Chartres ne se réduise sûrement pas à un fantôme de l'imagination historienne, il y a dans la thèse de R. W. Southern une idée juste qu'il convient de conserver en allant plus loin dans l'analyse de cet « esprit chartrain ». On dit généralement que c'est surtout par son platonisme que l'école de Chartres se caractérise. Or, il apparaît de plus en plus clairement aux chercheurs que le platonisme est une référence philosophique commune pour les maîtres de la première moitié du xiie siècle (qui s'en inspirent d'ailleurs de façons très diverses) ; outre les noms qu'on a cités, on trouve des éléments platoniciens chez Adélhard de Bath et chez Abélard, que nul n'a rattachés à Chartres. Ainsi, à moins de découverte nouvelle, le lien entre l'école épiscopale de Chartres et les doctrines enseignées par les maîtres cités plus haut serait considérablement distendu ; du même coup, l'allure intellectuelle qu'on attribuait spécifiquement à cette école devrait être regardée comme ayant été beaucoup plus largement partagée qu'on ne l'a dit.
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Écrit par
- Jean JOLIVET : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section, sciences religieuses)
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