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CHASSE

L'agonie de la chasse ?

De toutes les activités de l'homme, la chasse est peut-être celle qui est, en peu d'années, devenue la plus inavouable : il y a une ou deux générations on se glorifiait d'être chasseur. Aujourd'hui, sauf dans le domaine rural ignoré sinon méprisé par la majorité, on s'en excuse, ou plutôt l'on s'en cache. Dans une civilisation marquée par la présence écrasante de la ville, la prédation et, d'une certaine manière, la mort elle-même, sont escamotées. À plus forte raison l'idée qu'un homme puisse tuer par plaisir (ce qui est la définition même de la chasse de loisir) est devenue un tabou absolu dans un monde urbain moderne qui prétend pourtant avoir fait litière des tabous.

La mise en cause de la chasse a largement trait à la relation des humains à la mort en général, et à la mort et la souffrance animale en particulier. Faut-il rappeler que, naturellement ou du fait de l'homme, les animaux meurent, comme nous. C'est là que le bât blesse : tout est fait pour dissimuler cette réalité de la mort animale, sans doute parce qu'elle rappelle la nôtre. De la même manière que les fins de vies des humains constituent une réalité refoulée, sous couvert de contrôle des procédures hygiéniques, les animaux d'élevage sont tués dans des abattoirs dont le public ignore tout. L'abattage et la boucherie, qui de tout temps formaient un seul métier, sont depuis peu absolument séparés. Le lien entre l'animal choisi sur pied, son abattage et sa préparation est aboli. La viande et le poisson sont vendus et consommés sous des formes qui font oublier l'animal vivant. On aura bientôt le sentiment que l'on pêche des poissons panés...

Dans ce contexte où l'on ne doit pas mourir de manière visible, dans lequel on ne doit pas donner la mort à des êtres qui in fine nous sont très proches, la chasse a quelques difficultés à se situer. Elle ne se maintient active que dans les lieux où le lien à la nature est fort, le monde rural par exemple. La civilisation postmoderne se caractérise donc par la prolifération de groupes de pression antichasse, dirigés moins contre la chasse en tant que telle dont le caractère social et historique est méconnu, que contre l'idée de mort et de souffrance. Les plus radicaux de ces groupes n'hésitent pas, très paradoxalement, à menacer de mort les chasseurs. Ils formulent l'idée qu'il manque à l'homme un prédateur et que cette espèce, nuisible en raison de sa prolifération et de son inventivité perturbante, doit être éradiquée de la planète, ou au moins fortement « régulée ».

La chasse s'accommode mal de la civilisation urbaine. La ville contemporaine, place la nature – et donc la mort qui en est partie naturelle – dans une situation de déni ou de réinvention normée. Bâtir une mégalopole revient à opérer un déni de la nature : l'homme n'y meurt jamais, l'eau est conduite et dissimulée vers des caniveaux, l'herbe est étouffée sous du béton, les ravins sont comblés, les collines rabotées, les animaux disparaissent, le ciel s'éloigne, la nuit perd ses étoiles. C'est seulement quand la nature est définitivement vaincue qu'elle est réintroduite avec parcimonie sous forme d'espaces verts ou d'animaux domestiques. Mais c'est alors une nature en esclavage, c'est-à-dire une négation de la nature. C'est pour cela que l'on dit d'une ville détruite ou abandonnée que la nature « y reprend ses droits », droits que l'homme lui avait provisoirement confisqués, comme si l'ordre urbain était, à l'échelle du cosmos, un bref désordre. Pour autant, les chasseurs et les écologiste radicaux ne parlent pas de la même chose : le chasseur postule que l'homme a toute sa place dans la nature, quand[...]

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Écrit par

  • : écrivain, administrateur de la Fondation pour la Maison de la chasse et de la nature

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