CHASSÉRIAU THÉODORE (1819-1856)
Le siècle du peintre Théodore Chassériau a souvent lu dans son œuvre multiple la conciliation de tendances opposées. Élève d'Ingres, l'artiste aurait associé la couleur de Delacroix au dessin de son maître. Certains pourtant, comme Théophile Gautier, exégète fidèle et avisé, avaient saisi la singularité d'une sensibilité personnelle, ouverte aux « poètes de ces derniers temps » et proche des figures du Paris moderne, comme Lacordaire ou Tocqueville. Autour de la rétrospective consacrée à Chassériau en 2002, au Grand Palais à Paris, au musée des Beaux-Arts de Strasbourg, puis au Metropolitan Museum de New York, de nouvelles problématiques ont remodelé son image. Dans la perspective d'œuvres qu'il a fécondées, comme celle de Gustave Moreau, Chassériau paraît, au cœur de tensions esthétiques, le sourcier des ambiguïtés de son temps.
Né en 1819 à Saint-Domingue, où il vit jusqu'à l'âge de trois ans, Chassériau, talent précoce, entre dès 1830 dans l'atelier d'Ingres. Il restera profondément marqué par cet enseignement, dans sa maîtrise du dessin, dans l'importance accordée aux portraits, dans la pratique de la peinture monumentale, ou dans l'esprit de certaines compositions même tardives (La Défense des Gaules, 1855). L'artiste s'ouvre aussi, durant les années 1830, à la bohème romantique du Doyenné, où se retrouvent l'orientaliste Prosper Marilhat, dont il fera le portrait, Nerval ou Gautier. Le voyage de quelques mois que Chassériau effectue en Italie (1840-1841), bien connu par ses dessins, confirme la déférence vouée aux grands exemples, tout en forgeant son émancipation, à l'écart du cursus officiel puisqu'il n'a pas concouru pour le prix de Rome. La carrière du peintre est alors régie par la vie du Salon, au moment où ces expositions offrent régulièrement, au regard du public et de la critique, une galerie de l'art contemporain. Conscient « qu'un tableau qu'on expose se détache des autres pour l'originalité de son aspect », proche du monde du théâtre, l'artiste prépare ses effets, comme Esther se parant pour Assuérus, dans le tableau fameux de 1841. Chassériau s'impose au Salon de 1839 en présentant deux figures de femmes, Vénus marine et Suzanne au bain, qui affirment la sensualité de ses nus avant l'audacieuse Baigneuse endormie de 1850. Ses expositions sont aussi rythmées par les portraits qu'il y présente, comme celui de Lacordaire en 1840, associant à l'actualité du modèle la nouveauté d'un style hispanisant. En 1843, celui de ses Deux Sœurs (musée du Louvre, Paris) exprime un intérêt marqué pour la parure, avant le portrait de Mademoiselle de Cabarrus en 1848. Le voyage en Algérie (1846) accentue son goût pour l'orientalisme et sa proximité avec Delacroix, sensibles dans de nombreuses scènes de genre. Chassériau a consacré à l'œuvre monumentale une autre partie de sa vie : il illustre à Paris, dans l'église Saint-Merri, la légende de sainte Marie l'Égyptienne (1841-1843), décore au palais d'Orsay l'escalier d'honneur de la Cour des comptes (1844-1848, décor presque entièrement détruit dans l'incendie de 1871), réalise également des commandes importantes à Saint-Roch (1852-1853) et à Saint-Philippe-du-Roule (1852-1855). L'inspiration religieuse, présente aussi dans plusieurs tableaux, est empreinte d'une sensibilité moderne, exprimant une souffrance humaine visitée par le doute.
Cet « éclectique en travail », dont un critique se demandait en 1848 s'il finirait par « engendrer une originalité », n'a cessé d'interroger l'histoire de l'art. Son œuvre est très présente dans les collections françaises grâce à l'action du baron Arthur Chassériau, neveu de l'artiste, et à son important legs au musée du Louvre, en 1934. La thèse[...]
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Écrit par
- Christine PELTRE : professeur d'histoire de l'art contemporain à l'université des sciences humaines de Strasbourg
Classification
Médias
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