CHEFFERIE
Système du « big man » et chefferie en Océanie
La réflexion sur les systèmes politiques océaniens reste dominée par un retentissant article de Marshall Sahlins (1963), qui, plusieurs fois republié et devenu un classique, oppose le système dit du big man, caractéristique de la Mélanésie, où le statut de chef s'acquiert par des efforts personnels, et la chefferie polynésienne, où la qualité de chef est déterminée à l'avance par l'hérédité et par l'ensemble du système social. Certes, il s'agit de types idéaux, simplifiés à l'extrême, qui ne donnent qu'une faible idée de la complexité des systèmes et de l'ampleur de leurs variations régionales. Mais ce modèle, qui met en relief des différences de structure réelles, reste valable pour une approche générale.
L'usage, qui a consacré l'emploi du terme « chefferie » pour faire référence aux entités politiques océaniennes (à l'exception des sociétés aborigènes d'Australie), comporte une part d'arbitraire. Car, comme l'écrivait Georges Balandier, « la frontière entre les systèmes politiques à chefferie et les systèmes monarchiques n'est pas encore rigoureuse ». L'usage paraît être fondé sur des critères implicites assez flous : exiguïté spatiale de ces microcosmes insulaires océaniens, qui, même lorsqu'ils atteignent une certaine superficie (en Mélanésie, surtout), restent fragmentés en une mosaïque tribale et linguistique ; faiblesse des effectifs contrôlés par un même pouvoir politique ; inexistence ou faible différenciation, à de très rares exceptions près, de l'appareil gouvernemental.
Le système mélanésien du big man est une institution typiquement océanienne. Les sociétés mélanésiennes se caractérisent par la multiplicité de groupes sociaux de statut égal et d'effectifs faibles (de 70 à 300 personnes, exceptionnellement de 2 000 à 3 000 chez les Chimbu de Nouvelle-Guinée), capables de vivre en autosuffisance économique et politique – groupes de parenté et de résidence formant un village ou des hameaux. Dans ces communautés, le big man est celui qui a su, grâce à ses efforts personnels, devenir un homme de renom. Son prestige lui vaut de peser d'un poids déterminant dans la conduite des affaires publiques. À l'intérieur de la communauté, il préside au défrichement de nouveaux terrains horticoles, aux constructions et surtout aux festivités marquantes de la vie cérémonielle, pour honorer les morts ou célébrer les mariages. À l'extérieur, il entre en compétition avec d'autres big men et négocie toutes les transactions. Dans tous les domaines de la vie sociale, le big man est un catalyseur des activités du groupe. Son autorité doit peu à la coercition, beaucoup à son prestige et à ses talents de persuasion.
Un homme s'élève au statut de big man en attirant autour de lui une faction de partisans dont le noyau est formé par les membres de sa propre famille, auxquels viennent peu à peu s'adjoindre divers membres de sa parentèle et des isolés sociaux (veuves et orphelins). La faction met à la disposition du big man sa force de travail et coopère avec lui pour accumuler des richesses : aliments végétaux, porcs, monnaie de coquillages. C'est l'accumulation et la circulation de ces biens, dans les cycles d'échange à l'occasion des festivités sociales, qui confèrent au big man le prestige permettant son ascension sociale. Les qualités nécessaires pour se créer et surtout conserver une faction sont, en premier lieu, la générosité, l'attention apportée à assister des partisans dans le besoin. Ensuite, des qualités personnelles : talent oratoire, connaissance des traditions locales, réussite agricole, pouvoirs magiques, valeur guerrière, tous talents qui, chez les Baegu de Malaita dans les Salomon, se trouvent[...]
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Écrit par
- Henri LAVONDÈS : docteur en ethnologie, docteur ès lettres, professeur à l'université de Paris-X-Nanterre
- Jean-Claude PENRAD : anthropologue, maître de conférences à l'École des hautes études en sciences sociales
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