CHEFS-D'ŒUVRE PHOTOGRAPHIQUES DU MOMA. LA COLLECTION THOMAS WALTHER (exposition)
Acquise par le MoMA en 2001 et 2017, la collection Thomas Walther réunit trois cent cinquante œuvres des avant-gardes européennes et américaines de la fin du xixe siècle à 1939, période cruciale où la photographie s’invente une modernité. Quarante années foisonnantes durant lesquelles, s’émancipant des canons de la peinture, les artistes explorent les caractéristiques propres au médium photographique. Du 14 septembre 2021 au 13 février 2022, le Jeu de Paume présente deux cent trente de ces œuvres célèbres ou inédites acquises à partir de 1970 par le collectionneur Thomas Walther, esthète discret mû par son intuition.
Le temps de l’expérimentation
Articulée en six parties – « Voici venir le nouveau photographe ! », « Découverte de la photographie », « La vie d’artiste », « Réalismes magiques », « Symphonie de la grande ville » et « Haute fidélité » –, l’exposition reflète l’émulation créative des communautés d’artistes européennes et américaines de l’entre-deux-guerres gravitant alors à Paris. L’Américain Man Ray réalise un portrait caustique de Joseph Stella et Marcel Duchamp (Trois têtes, 1920), sa compatriote Berenice Abbott saisit l’élégance de James Joyce (1926). Avec la série iconique « Chez Mondrian » (1926), le Hongrois André Kertész brosse le portrait du peintre néerlandais par l’entremise des objets de son atelier parisien.
Une place de choix est également faite aux artistes réunis autour de l’école allemande du Bauhaus – László Moholy-Nagy, Lyonel Feininger, Iwao Yamawaki… –, dont on découvre les œuvres et parfois les visages. Gros plan audacieux de Florence Henri (1927) par Lucia Moholy, plongée sur les étudiantes en tissage par Lotte Beese (1928), surimpression constructiviste de son visage sur la façade du Bauhaus par Hajo Rose (1931), tous reflètent la liberté de ton de cette école interdisciplinaire qui inclut l’enseignement de la photographie dès 1929.
L’autoportrait est aussi un moyen de sonder toutes les virtualités du médium. Les artistes se mettent en scène avec le dispositif photographique, valorisant le caractère mécanique de l’objectif comme un troisième œil. Le Français Maurice Tabardlivre son Autoportrait avec Roger Parry, appareil « vissé » sur l’œil (vers 1936). L’Allemand Ewald Hoinkis piège son reflet et celui de son tripode dans une ampoule électrique (vers 1930). Pour son Autoportrait (le constructeur) [1924], le Russe El Lissitzky élabore une surimpression sophistiquée œil-paume-compas-typographie, véritable manifeste de la mission qu’il assigne au photographe.
« Il y a cent ans que la photographie est inventée, elle vient seulement d’être vraiment découverte », affirme le Hongrois Laszlo Moholy-Nagy en 1929. Plongées, contre-plongées, surimpressions, reflets… Cassant les codes, les artistes réinventent le photogramme et le tirage, conjuguent collage, photomontage, typographie, et élaborent un vocabulaire visuel inédit pour traduire la perception moderne de l’espace et du temps. Ils se veulent en phase avec cette période fascinée par le mouvement et la vitesse qu’apportent l’aviation et l’automobile, et qu’une meilleure sensibilité des films permet au cinéma et à la photographie de capter. En 1931, Willi Ruge, pionnier du photojournalisme allemand, relate l’expérience singulière de son saut en parachute en saisissant ses jambes flottant au-dessus de Berlin. El Lissitzky donne l’illusion de la vitesse en superposant l’image d’un coureur franchissant une haie et une vue de Broadway (Record, 1926). En osmose avec l’idéologie nazie, Leni Riefenstahl magnifie le corps des athlètes aux jeux Olympiques de Berlin (1936).
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Armelle CANITROT : journaliste et critique photo
Classification
Média