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BAKER CHET (1929-1988)

La destinée d'Icare

En 1953, Chet Baker abandonne la formation de l'illustre saxophone baryton et constitue un quartette avec le pianiste Russ Freeman. Il se met aussi à chanter d'une voix dont la couleur sensuelle et voilée nous parvient comme l'écho assourdi de son instrument. Chet Baker enregistre beaucoup : à Paris en 1955 et 1956 (où ses formations accueillent les Français Gérard Gustin, Benny Vasseur, René Urtreger, Raymond Fol, Jean-Louis Chautemps...), en Californie pour Pacific Jazz et à New York pour Riverside, qui l'associe en 1958 à Kenny Drew, Johnny Griffin, Philly Joe Jones, Hal Haig, Herbie Mann, Kenny Burrell, Bill Evans, Paul Chambers, Pepper Adams, Connie Kay... Mais les vieux démons sont toujours là. En 1959, Chet Baker est arrêté pour usage de stupéfiants et passe six mois au pénitencier de Rikes Island. Il se réfugie en Europe, mais, appréhendé à Lucques, en Italie, pour le même motif, il est condamné à dix-huit mois de prison ferme (1960-1961). Il adopte le bugle à la suite du vol de sa trompette, à Paris en 1962. Il en jouera jusqu'à la fin des années 1960. Mais le naufrage paraît définitif quand, en 1968, son pourvoyeur de drogue lui brise la mâchoire.

Le silence s'instaure pour plus de trois ans. Pourtant, sa descente aux enfers connaît quelques rémissions : il réapparaît dans les clubs new-yorkais en 1974, année où il retrouve Gerry Mulligan à Carnegie Hall pour un concert du souvenir le 24 novembre 1974. Il enregistre quelques albums en studio (notamment pour CTI, la compagnie de Creed Taylor, en 1974 et 1975, puis en 1982), effectue des tournées en Europe et au Japon. À Paris, il se produit le 3 novembre 1981 au Théâtre de la Ville, en compagnie de René Urtreger au piano, Pierre Michelot à la contrebasse et Aldo Romano à la batterie. Amsterdam, 13 mai 1988 : Chet Baker, pour des raisons non élucidées, tombe par la fenêtre de sa chambre, au deuxième étage de son hôtel. La destinée d'Icare.

Grand technicien, soliste exceptionnel malgré une étonnante économie de moyens, Chet Baker ne s'est que difficilement dégagé du statut de comparse de Gerry Mulligan, sous lequel il avait connu une gloire éphémère. C'est cette image que le public et les critiques ont trop longtemps voulu conserver, ignorant l'essentiel d'un talent qui n'a cessé de s'enrichir au fil des années. Au bugle ou à la trompette, Chet Baker s'avoue fils spirituel de Bix Beiderbecke et de Miles Davis. Le phrasé, sans vibrato, est d'une étrange pureté, la couleur d'un raffinement infini. Une imagination mélodique hors du commun s'exprime en de longues lignes paisibles. Sous l'équilibre absolu de la forme percent des élans lyriques qui comptent parmi les plus beaux de l'histoire du jazz.

— Pierre BRETON

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Chet Baker - crédits : Keystone/ Hulton Archive/ Getty Images

Chet Baker

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